ALTA MONTAGNA E PASCOLI
À l'origine, les parcs de stationnement sont aménagés en plein air au pied des remontées mécaniques et sont souvent mal insérés dans le paysage. Avec le developpement de l'automobile, les dispositifs se complexifient.
STATIONNER EN STATION
par Pierre Belli-Riz
L'automobile à l'assaut de la montagne

Un exemple de "machine à echanger": Vaujany (Isère), parking et gare de départ du télépherique.Après la deuxième moitié du 19ème siècle qui a vu le tourisme se développer grâce aux compagnies de chemin de fer, l'automobile a pris le relais pour pousser plus loin la quête d'horizons nouveaux, en toute liberté.
En montagne, cette accessibilité nouvelle a offert une chance économique inespérée à des régions jusque-là déshéritées et touchées par un exode massif. La neige, qui condamnait les villages à la léthargie hivernale, devient cet or blanc que les stations de sports d'hiver peuvent exploiter.
La route est la condition de l'accessibilité et du développement. Il appartient généralement à la collectivité publique d'assurer les conditions de cette valorisation : en France, à partir de la fin des années 1950, le développement des stations de sports d'hiver est une véritable cause nationale, l'affaire d'un État qui ne ménage ni les investissements ni les procédures d'exception. Tant pis si la logique de profit rapide des partenaires privés semble souvent primer sur la production d'une valeur collective durable. L'essor des stations françaises à cette époque est essentiellement lié à la promotion immobilière, bien plus qu'à la conception globale d'un produit touristique cohérent : les infrastructures et les services ont souvent eu du mal à suivre le rythme de la construction.
Sur le plan technique, la réalisation des routes d'accès et l'équipement des domaines skiables est une épopée pacifique qui prolonge la création des hautes routes stratégiques jalonnant les frontières alpines depuis le milieu du 19ème siècle, et qui permet d'exprimer le savoir-faire des ingénieurs : celui-ci peut être aussi un montagnard, avec le souci d'économiser l'effort, de trouver le tracé juste, d'équilibrer savamment les déblais et les remblais, de concevoir des ouvrages beaux parce que rationnels. La route de montagne amène l'infrastructure au rang d'ouvrage d'art, voire même d'œuvre d'art. Et l'enchaînement des lacets dans les montées finales d'accès aux stations prépare peut-être mentalement les futures descentes à skis…

Du noir au blanc : le front de neige

La plateforme de caravaning de Roche-Béranger.Comment s'organise précisément le passage de la route goudronnée aux pistes enneigées ? La métamorphose de l'automobiliste en skieur obéit à un rituel complexe, chargé de nombreuses significations. L'arrêt de l'automobile est d'abord un premier moment de contemplation et de mesure du domaine naturel que l'on se propose de conquérir. Ensuite, il faut se changer, s'équiper sur place : petit exercice de contorsion et d'acclimatation. Puis, chacun rêve de pouvoir chausser les skis juste devant la voiture : l'effort physique, on préfère le réserver à la glisse, pas à la marche à pied avec des chaussures qui ne sont vraiment pas faites pour ça. Au moment de la pause, la voiture accueille souvent le casse-croûte. Quand vient le moment du retour, la fatigue rend encore plus pénible tout parcours à pied. Et lorsque l'on repart, après la séance du déshabillage et du chargement du véhicule, un dernier regard s'impose sur le théâtre des exploits que l'on a réalisés.
La figure la plus élémentaire de cet échange intermodal bien particulier est le front de neige, caractéristique d'une première génération de stations ou d'une fréquentation à la journée, comme à Chamrousse (Isère).

L'étalement des nappes de parking, au risque de la marée noire…

Le front de neige originel: le recoin de Chamrousse (Isère) dans les années 1960.Mais cette figure primitive de l'échange direct, immédiat, résiste difficilement à l'extension des stations. Que faire lorsque les capacités d'accueil deviennent insuffisantes, ou que le séjour se prolonge ?
Dans les années 1960 en France, les principes d'aménagement des stations touristiques sont les mêmes que ceux des grands ensembles de logement social, en application d'une pensée dite fonctionnaliste: séparation des fonctions, volonté de privilégier le piéton, mise à l'écart de l'automobile, dispositifs de stockage concentrés et éloignés... comme si le piéton ou le skieur n'était pas avant tout un automobiliste. Et c'est à la collectivité ou à l'aménageur, plutôt qu'aux constructeurs immobiliers, que revient la charge de réaliser ces dispositifs. Leur aménagement est souvent sommaire, purement utilitaire, et toujours en retard sur les besoins ; ce sont ainsi des nappes de bitume toujours plus grandes qui s'étendent au pied des stations. La marée noire peut être dissimulée sous une mince couche de neige ; l'impact paysager est cependant souvent négatif, les distances à parcourir à pied parfois considérables, et la voiture abandonnée pendant toute la durée du séjour a quelquefois du mal à redémarrer…

Intégration en gris : le séjour de l'automobile à domicile

Lorsque le séjour de l'automobile s'installe dans une durée plus longue, il peut sembler logique d'associer le séjour automobile au séjour humain. C'est en tout cas le sens de la réglementation française en matière d'urbanisme, qui exige depuis 1967 que chaque programme immobilier prévoie en son sein la résolution de ce besoin.
L'idéal, dans les stations intégrées de cette génération, est de faire disparaître l'automobile sous les bâtiments ou sous une dalle, comme dans les grandes réalisations d'urbanisme de la même génération. L'adaptation des constructions à la pente peut servir à intégrer le parking comme socle sur lequel se dressent les immeubles. Cette conception typiquement moderne suppose l'unicité de l'œuvre, un projet rigoureusement maîtrisé, quel que soit le style architectural retenu. En ce sens, au-delà de l'image commerciale choisie pour attirer sa clientèle, Valmorel (Savoie) représente une conception aussi moderne qu'Avoriaz (Haute-Savoie) ou les Arcs (Savoie), par exemple.
En principe, cette collectivisation du stationnement devrait permettre d'importantes économies d'échelle. Elle suppose cependant une rigueur constructive particulière, à laquelle les architectes ont parfois du mal à se plier. L'organisation du stationnement représente la structure cachée, souterraine, mais aussi fondamentale de la construction, et le moindre écart par rapport à cette rationalité se paye cher. Par ailleurs, le coût du stationnement en ouvrage peut sembler disproportionné: est-il raisonnable de construire une place de parking, soit en moyenne 25 m2 de planchers, pour des studios qui n'atteignent parfois même pas cette surface? Cette contrainte rend les montages financiers fragiles, et en cas de problème, les parkings sont alors les premiers éléments de programme sacrifiés ; d'où un déficit de l'offre difficile à rattraper ensuite.
D'autre part, le stationnement intégré est souvent réduit à sa dimension strictement utilitaire, dans des espaces de rejet sans qualité, et il n'est pas rare que ces parkings connaissent des problèmes de gestion analogues à ceux des quartiers difficiles ds grandes villes. Ou bien, à l'inverse, certains garages ont parfois semblé trop beaux pour ne pas être mieux rentabilisés : on observe dans certaines stations des transformations massives et clandestines de garages en studios ou en locaux commerciaux. Ces évolutions, ajoutées aux prévisions toujours insuffisantes en matière d'afflux automobile, accroissent bien entendu l'écart entre l'offre et la demande, et expliquent une situation de crise chronique plus ou moins aiguë.

Le parking comme " machine à échanger " ?

L'intégration résidentielle a donc ses limites, et ne suffit pas à optimiser le fonctionnement d'une station. En effet, comme dans les centres commerciaux, " no parking, no business! ". Dans les deux cas, le parking est un lieu d'échanges essentiel, un espace de transition avant les transactions. Dans les deux cas, la nappe multicolore du stationnement au sol ne suffit plus à assurer la meilleure rentabilité de l'investissement ; l'intensification des échanges pousse à une densification de l'occupation du sol, à la réalisation de parkings en ouvrage. Mais les conditions sont beaucoup plus complexes dans le cas des stations de sports d'hiver.
Tout d'abord, c'est rarement une société privée qui peut prendre l'initiative de ce type d'aménagement, sauf dans le cas d'une société de remontées mécaniques, lors de la réalisation d'un nouvel équipement : il y a alors association entre une machine à remonter les pentes et une machine à échanger, comme au pied de certains téléphériques à Megève (Savoie) ou Vaujany (Isère).
Mais plus souvent, la puissance publique devra prendre en charge cet investissement : les terrains les plus propices sont généralement dans le domaine public, et la rentabilité de l'investissement est mal assurée. La période de fonctionnement maximum des installations est réduite, les terrains disponibles sont exigus ou en pente, les coûts de construction sont élevés. Les conditions de gestion sont aussi très différentes, du fait d'un usage polyvalent et variable dans le temps : l'ouvrage ne peut rester totalement ouvert, il doit être surveillé et son accès contrôlé, notamment la nuit.

Le stationnement, un service qui a un prix

Dans ces conditions, le stationnement, qu'il soit sur voirie ou en ouvrage, peut difficilement rester un service gratuit pris en charge par une communauté d'intérêts commerciaux: il faudra que le client accepte de payer le prix d'un service à part entière, qu'il soit assuré en régie publique ou en concession privée.
La mise en cause de la gratuité du stationnement est une véritable révolution culturelle, elle est encore très rare dans le cas des centres commerciaux, et évolue sûrement mais lentement dans le cœur des villes. La clientèle aisée des touristes motorisés est-elle prête à assumer cette évolution? Dans certaines stations, elle est en voie de s'accomplir : à Val Thorens (Savoie), par exemple, le coût du stationnement à la semaine représente entre 40 à 90% du coût du forfait des remontées mécaniques. Cela semble le prix déjà acceptable pour une fréquentation tournée vers la pratique sportive intensive, le rendement maximum. Et même si toutes les stations ne se réduisent pas à des " machines à skier ", la qualité de l'accueil est primordiale dans la valorisation du produit touristique. La question se pose donc aujourd'hui pour de nombreuses stations où l'invasion automobile nuit tant à l'image qu'au fonctionnement.
L'idée d'un prix à payer pour stationner en station fait donc son chemin ; comme en ville, c'est avant tout l'espace public qu'il s'agit de reconquérir, au profit d'une rotation plus grande des véhicules ou d'une qualité nouvelle pour les piétons. Paradoxe : le sommeil de l'automobile, plus long et moins productif, devra trouver sa place plutôt dans des ouvrages coûteux, mais à un prix théoriquement moindre que sur la voirie. Pas question pour autant de sacrifier la qualité que l'usager est en droit d'attendre d'une prestation payante : le parking ne peut se réduire à une simple boîte de stockage pour mécaniques inanimées, ou à une antichambre sombre et inconfortable, une sorte de purgatoire qui s'imposerait avant d'accéder à un paradis immaculé...

Le parking comme équipement public, entre infrastructure, architecture et nature

Le parking devient alors équipement public à part entière, seul ou combiné avec d'autres programmes. C'est le cas à Tignes (Haute-Savoie), dont l'équipement central, réalisé à la fin des années 1990, a d'abord eu comme vocation de faire disparaître routes et parkings au cœur de la station. Plusieurs autres parkings en ouvrage réalisés par l'architecte Jean-Michel Wilmotte répondent au même besoin, en différents endroits de la station.
Ces nouveaux édifices posent la question d'une insertion architecturale particulièrement délicate. Souvent, le caractère artificiel des ouvrages s'affirme avec force, voire même avec violence. Ils représentent le prolongement de l'infrastructure, ils appartiennent à l'univers mécanisé qui veut dominer et exploiter le paysage naturel. Cette logique est-elle encore aujourd'hui soutenable, durable ?
La logique commerciale se soucie avant tout de rentabilité, et l'on pourrait craindre de voir s'appliquer aux stations de sports d'hiver les solutions généralement grossières que l'on peut observer dans les centres commerciaux. Mais l'une des conditions particulières de la rentabilité des activités touristiques est aussi l'attractivité du site, qui exige le respect de l'image de la nature (sinon le respect de la nature elle-même). De plus, les stations de sports d'hiver ne peuvent plus compter uniquement sur le ski pour fonctionner, ni sur la construction immobilière comme source de revenu régulier; leur problème, aujourd'hui, c'est souvent plus de durer que de se développer, en assurant la cohérence d'un produit touristique complet et diversifié.
Le client comme la collectivité sont prêts, jusqu'à un certain point, à payer le prix de cette image. Mais de quelle image? Peu d'architectes ont su jusqu'à présent trouver des réponses pertinentes. Il est vrai que le stationnement automobile a toujours été leur bête noire, particulièrement en France. L'enjeu est aujourd'hui de rapprocher des univers que l'on a trop souvent opposés : il y a encore du chemin à faire pour réduire la schizophrénie de l'usager tour à tour automobiliste, piéton ou skieur. À chaque projet de proposer une synthèse entre infrastructure, architecture et nature…
   
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