SISTEMA URBANO
La participation des habitants aux projets n'est pas seulement question de volonté politique. Bazar Urbain (NOTA 1 : BazarUrbain est un collectif d'architectes, urbanistes, sociologues et graphistes qui interviennent sur l'espace urbain construit et social en hybridant réflexions et actions sur les usages, les ambiances et la gouvernance du projet. C.f. www.bazarurbain.com) réfléchit à de nouvelles méthodes pour impliquer les habitants dès la phase de diagnostic.
A' L'ECOUTE DES HABITANTS
par Jean-Michel Roux
Jardin, détail.Un parti pris
La question de la participation des habitants à la définition des projets architecturaux, urbains ou territoriaux les concernant revient périodiquement sur le devant de la scène. L'activisme virulent des habitants des vallées alpines opposés à la réouverture d'un tunnel ou au percement d'un autre nous rappellent qu'il n'y a pas que les populations des quartiers en difficulté qui se sentent exclus des processus décisionnels.
La participation n'est pas cependant quelque chose qui se décrète. Elle demande un parti pris sur le projet en général comme sur ses outils et ses processus de réalisation. La bonne volonté des élus locaux se brisent souvent sur les rochers de l'inexpérience. Quant à l'enthousiasme débordant des jeunes architectes-urbanistes, tenants de l'architecture de participation à l'époque des luttes urbaines des années 70, il a laissé la place au scepticisme des milieux professionnels sur l'intérêt de la concertation pour l'élaboration des projets.
Depuis six ans nous nous essayons à notre tour à l'exercice. De cette modeste expérience nous pouvons tirer quelques enseignements. Concevoir la participation des habitants nécessite tout d'abord d'éviter le mélange des genres. L'élu, le professionnel et l'habitant doivent apprendre à se connaître et à travailler ensemble, mais aussi à garder leurs distances. L'habitant, même investi dans la vie de la cité (responsable associatif ou membres d'une instance de quartier), même auréolé d'une expérience professionnelle en matière de gestion urbaine, ne peut cependant pas prétendre à jouer le rôle de l'élu ou de l'urbaniste. Il revient à l'élu de prendre les décisions qui engagent la collectivité et au technicien de mettre en œuvre le projet de territoire.
Ceci dit, chacun possède un rôle à jouer en tant que possesseur d'une certaine compétence. L'identification et la reconnaissance de ces compétences sont essentielles au processus de projet. L'élu est classiquement investi de la maîtrise d'ouvrage et le professionnel de la gestion urbaine de la maîtrise d'œuvre. Il est moins évident de dire que les habitants ou les usagers possèdent aussi une maîtrise : la maîtrise d'usage. Eux seuls sont en mesure de dire le territoire dans tous ses usages, ses compétences, ses représentations. Ils sont, en quelque sorte, les experts de leur quotidien. Lorsque l'on met en œuvre des techniques d'émergence de la parole habitante, elles permettent d'améliorer considérablement la richesse du projet.

Le projet des cœurs d'îlot des Hauts Champs à Hem
Maisons en bande.L'importance des enjeux des grands projets urbains actuels, tels que ceux de l'ANRU (NOTA 2 : L' Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) est l'établissement étatique chargé de mettre en œuvre le programme national de rénovation urbaine, tel que défini par la loi du 1er août 2003, qui prévoit une offre nouvelle de 250 000 logements locatifs sociaux, la réhabilitation de 400 000 logements locatifs sociaux, la démolition de 250 000 logements ainsi que des équipements publics et des aménagements urbains pour 277 quartiers dits " sensibles " où résident plus d'un million et demi d'habitants.)
en France, poussent cependant de plus en plus les décideurs à réclamer des professionnels une capacité à entraîner l'adhésion des habitants afin de garantir la réussite.
C'est le cas d'un de nos contrats en cours dans la région lilloise. La commande stipule ainsi que la " concertation avec les habitants et la réhabilitation architecturale du bâti [seront] deux points essentiels de la mission " et que l'équipe retenue devra associer " des architectes, capables de recueillir et comprendre des données et des contraintes diverses puis de traduire un projet en plan, et des urbanistes compétents en analyse urbaine et gouvernance du projet ". La mission s'inscrit dans le cadre du projet A.N.R.U. pour le quartier d'habitat social des Hauts Champs à Hem, une ville de 20 000 habitants à la périphérie de Roubaix (NOTA 3 : Le quartier des Hauts Champs comptent 1 500 habitants. Il se caractérise par sa grande fragilité. Presque tous les voyants socio-économiques sont au rouge : taux de chômage de 36.7%, des catégories socioprofessionnelles limitées aux seuls ouvriers et employés, surreprésentation des classes d'âge inactives (les 10-34 ans et les 70-84 ans), des familles nombreuses ou monoparentales, des pris en charge sociaux, etc.). La commande est portée par une convention multipartite entre l'État, la municipalité et le bailleur des logements sociaux (signature en octobre 2004).
Le quartier est composé de petites maisons en bande qui sont des logements sociaux appartenant à un important bailleur privé. Des garages ont été construits au cœur de quatre de ces îlots. Ils définissent un espace clos, minéral et sans issue. Indépendants des maisons, ils servent à divers usages (garage, stockage, atelier mais aussi activités illicites). L'objectif confié à la mission est de résoudre le problème de ces cœurs d'îlot… Un îlot test de 67 logements a été sélectionné en avril 2005 et nous a été confié.
Notre conviction de départ est que les Hauts Champs possèdent des qualités patrimoniales et sociales qui demandent à être mises à jour et sur lesquels il est possible de s'appuyer pour mener une intervention. La cité actuelle, malgré de nombreux problèmes, ne se prête pas à la table rase et à sa violence symbolique, ceci bien qu'elle ait été conçue sur ce mode dans les années 60 et sans lien avec son environnement urbain. Les Hauts Champs possèdent un tissu urbain intéressant mais problématique. Il convient de le réorganiser pour le rendre plus perméable, lisible, propice à des évolutions et ouvert à la mixité fonctionnelle et sociale.
Nous avons posé une double hypothèse. Il s'agirait d'une part d'un mauvais traitement des espaces publics, collectifs et privés plus que d'un problème de garages en cœur d'îlot stricto sensu. Ces derniers sont, au même titre que la délinquance, un symptôme de problèmes urbains et sociaux plus généraux. Un enjeu est donc de passer d'une logique de maisons bordées d'espaces semi-collectifs (devants de maisons, pelouses, batteries de garage) à une logique d'articulation claire des espaces publics et privés. Il y aurait d'autre part une difficulté d'expression des qualités latentes de ces quartiers dit " sensibles " et des compétences et savoir-faire de leurs habitants. Un enjeu serait donc de s'appuyer sur les savoirs des habitants et sur leurs compétences pour requalifier les espaces et l'habitat.
Nous avons ensuite posé nos principes de travail : travailler le projet en articulant plusieurs échelles (le bâtiment, l'îlot, le quartier et la ville), équilibrer au mieux trois dimensions (le social avec les usages, le sensible avec les ambiances, le technique avec le construit) et travailler en impliquant les trois maîtrises (maîtrise d'ouvrage, d'œuvre et d'usage). Nos principes impliquent d'avoir régulièrement avec la maîtrise d'ouvrage des moments analytiques et réflexifs. Cela nécessite aussi d'avoir des moyens et outils de communication avec les habitants (lettres d'information municipale, journal local, site web, affichage…) ainsi que des temps de rendu des travaux et d'échange.

Les parcours collectifs
La vie du quartier (rue, espaces collectifs ou privatifs) et la vie quotidienne des habitants ont été appréhendés en mai 2005 lors de cinq " parcours collectifs " composés à la suite d'une réunion publique et complété par bouche-à-oreille :
- un parcours avec des élus et cadres de la Ville d'Hem et du bailleur,
- un parcours avec des professionnels de la gestion urbaine (le chargé de clientèle du bailleur, le facteur, les services municipaux des Espaces Verts et de la Voirie, les policiers municipaux, etc.)
- trois parcours avec des habitants.
Qu'ils soient élus, professionnels ou habitants, tous ont été confrontés à la même expérience et invités à nous faire partager leur vécu quotidien ou leur vision du quartier par des échanges simples et spontanés et par la prise de photos numériques. Les photos ont ensuite servi de support à un débat tenu dans une salle du quartier. Chaque parcours devait sélectionner une douzaine de photos, les plus significatives, pour illustrer un album de visite assorti des paroles échangées (NOTA 4 : Nous avons eu 36 inscriptions mais ce sont une cinquantaine de personnes qui se sont exprimées si l'on compte les gens qui se sont ponctuellement joints à nous. Comme pour contrebalancer une vision collective assez négative posée sur le quartier, certains habitants nous ont invité à voir d'autres lieux régulés différemment, des lieux dont ils sont fiers. Il s'agit des jardins privatifs des habitants et des jardins familiaux.). Cet album a été ensuite remis aux gens ayant parcouru lors d'une réunion publique de restitution du travail (juillet 2005).
Les informations obtenues lors de ces temps de travail ont été croisées avec les données plus classiques de l'enquête sociale et urbaine (analyse de données quantitatives, analyse des projets en cours, etc.) et nous ont permis de dresser un constat à l'échelle du quartier et d'identifier des enjeux de projet. Il est ressorti, par exemple, que les espaces les plus décriés étaient ceux qui n'appartenaient ni clairement au domaine public ni au domaine privé : les pelouses ou les cœurs d'îlot menant aux garages. Il est aussi apparu que les habitants louaient parfois depuis quarante ans leur logement et qu'ils avaient développé un sentiment mêlé de petits propriétaires et de locataires.

Les visites à domicile
Une seconde phase de travail a alors consisté à rencontrer individuellement les 67 familles de l'îlot. Seuls 10 refus ont été enregistrés. Les habitants ont été écoutés afin de connaître, le plus en détail possible, leurs espaces extérieurs (garage, cellier, cave, jardins). Nous avons ainsi identifié des problématiques auxquelles le projet de restructuration de l'îlot pouvait tenter d'apporter des réponses.
La parole des habitants nous a permis, par exemple, d'apprendre qu'une vingtaine de maisons avaient des caves ou des vides sanitaires inondées ou inondables à la première averse et que les égouts refoulaient à ces occasions. Des locataires pompaient même tous les jours leur cave ! Le travail a depuis porté ses fruits. Une étude complémentaire a permis d'identifier qu'une conduite d'eau était cassée depuis des années et que le curage des égouts n'avait pas été fait consciencieusement depuis des lustres… Nous avons aussi établi que les fameux garages ne sont à disposition que de seulement 70% des locataires et que nombre ne servent plus pour ranger les véhicules (NOTA 5 : La peur des délinquants fait que certains propriétaires de voiture préfèrent garer leur véhicule devant leur maison, sous leurs yeux, plutôt qu'au coeur de l'îlot dans lequel ils hésitent à se rendre !). Les garages sont en fait plutôt appréciés et utilisés pour le confort de stockage et de bricolage qu'ils procurent.

Le passage au projet
A partir de la parole habitante nous avons pu ainsi concevoir un projet de réorganisation de l'îlot. Il a été soumis en décembre 2005 aux élus et techniciens de la Ville et du bailleur. Il est aujourd'hui en phase de modification dans le cadre des allers-retours entre la Ville, le bailleur et notre équipe. Comme le projet implique la démolition de cinq maisons, un travail de concertation est aussi en cours avec la Ville, le bailleur et les habitants concernés. Le relogement de toutes les familles est un préalable jugé indispensable à tous travaux.
A partir du mois de février 2006, l'étude entrera dans sa dernière phase. Il s'agira d'organiser des ateliers de participation habitante à la conception. En fonction des modes de vie des habitants, des solutions techniques devront proposer " en échange " de la démolition des garages. Des vérandas, des serres, de petits ateliers de bricolage, voir une extension de la maison font des parties des hypothèses envisageables.

Quelle transposition de l'expérience?
Quittons maintenant le " plat pays " lillois pour conclure sur une possible transposition aux territoires alpins. Sur le principe, les méthodes que nous utilisons depuis six ans peuvent fonctionner en divers lieux, à différentes échelles (du bâtiment à la ville) et sur différentes problématiques (renouvellement urbain, réhabilitation d'immeubles, plans locaux d'urbanisme, identification du patrimoine local, etc.). Il semble cependant nécessaires d'apporter quelques bémols. La participation habitante telle que nous la présentons ici est coûteuse en terme de moyens humains, de temps et d'argent. Elle s'applique donc plus facilement à de petits territoires et projets qu'au grand projet d'infrastructures territoriales.
La participation réussie demande à l'élu une forte volonté politique pour porter le projet. Elle demande une implication sans faille de la part des techniciens partenaires (municipalités, bailleurs, etc.) et une grande connaissance des réseaux d'acteurs et des habitants. Savoir organiser une réunion publique avec des habitants, savoir les impliquer dans la démarche, savoir mobiliser les autres services techniques porteurs d'une parole experte (p. ex. un jardinier municipal) sont des compétences essentielles à la réussite de la participation. Enfin, la participation demande à l'architecte-urbaniste d'enterrer ses rêves démiurgiques de fabrique à lui seul de la ville…



L'auteur tient à remercier ses collègues, Marie-Christine Couic et Nicolas Tixier, pour leurs relectures bienveillantes et pour leurs photographies.
   
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