TERRITOIRE DE TOUS
Des désirs de participer et des compétences à faire valoir. L’exemple des 9-12 ans dans des conseils d’enfants à Lausanne.
LES ENFANTS ET LEUR ENVIRONNEMENT
par D. Golay, D. Malatesta et C. Palazzo-Crettol
Contexte

La participation des enfants à la construction de la cité fait l’objet d’une attention croissante. Toutefois, une étude (1) menée par l’Unicef a montré que, dans les faits, cette participation demeure limitée à la famille et à l’école, qu’elle est quasiment inexistante au niveau communal et vraiment absente des sphères cantonales ou fédérales. Dans ce contexte, l’expérience des conseils d’enfants de la Ville de Lausanne est intéressante à documenter.
Dans le but d’insuffler une dynamique participative chez les habitant/e/s, la Ville de Lausanne a institutionnalisé le dispositif de développement durable dit Agenda 21. C’est dans ce contexte que les autorités ont décidé, de l’ouverture de conseils d’enfants destinés à promouvoir la citoyenneté de et chez les enfants et dans le même temps de leur attribuer une place dans la Cité. De telles initiatives sont importantes à relever au-delà du projet municipal lausannois en tant que tel. En effet, elles permettent de mettre en évidence les attentes des enfants et les réponses qui peuvent y être apportées. Ces expériences soulignent également l’intérêt de développer de tels lieux en termes de prévention et de renforcement de l’autonomie chez les enfants et tout particulièrement chez les filles.

La recherche que nous menons actuellement (2), partant de ces constats, est centrée sur les enfants, âgés de 9 à 12 ans vus dans des lieux de participation et d’action où elles et ils sont amené/e/s à agir collectivement pour et sur leur environnement, à une échelle très locale donc dans une relative proximité. La mise en oeuvre de ces expériences participatives est située en ville et plus particulièrement dans des quartiers populaires. La démarche implique une collaboration avec les professionnel/le/s de deux lieux d’accueil destinés aux écoliers et de trois centres de loisirs. Cette recherche s’inscrit également dans la réflexion menée par l’observatoire lausannois de la sécurité qui se déploie sur deux axes en ce qui concerne les enfants: le renforcement des sociabilités et la maîtrise de l’environnement.
Le choix des lieux de mise en oeuvre de ces expériences de participation a suivi deux logiques complémentaires, (1) des espaces d’accueil collectif en milieu scolaire où les enfants se connaissent et sont déjà inscrits dans une dynamique de groupe et (2) des espaces destinés spécifiquement à la participation des enfants qui ont choisi de le faire, où le groupe doit encore se constituer et où les enfants, même si elles ou ils se connaissent, doivent apprendre à fonctionner ensemble dans un nouveau contexte.

Le conseil d’enfants : un espace de socialisation

Les conseils d’enfants sont des espaces de socialisation « qui relèvent de l’interaction et du compromis » que Vulbeau appelle la gouvernance (2006 : 199). Selon ce même auteur, ils remplissent un double objectif d’expression et de formation. « Le premier objectif vise une formation aux principes de la vie civique dans une perspective d’éducation civique appliquée. Le second s’attache à promouvoir une expression des enfants sur des sujets qui les concernent, dans l’esprit d’un groupe de pression actif. Cette expression va souvent jusqu’à la mise en forme de projets et au suivi de leur réalisation. » (2006 : 200).
L’idée de gouvernance permet de ne pas voir dans les conseils d’enfants une manipulation politique, mais de les comprendre comme des lieux où les acteurs ont des ressources et une certaine marge de manoeuvre qui va faciliter, à travers les interactions, l’apprentissage de règles, la négociation et le consensus. Les enfants y sont considérés comme des acteurs capables d’intervenir, de se positionner et de prendre des décisions sous réserve bien sûr qu’elles et ils se soumettent à la prise de parole publique. La négociation a lieu à deux niveaux, entre eux et entre eux et les adultes. S’ils apprennent à s’écouter, à échanger des points de vue, à se mettre d’accord sur un projet, ils doivent aussi parvenir à convaincre les adultes du bien fondé de leurs demandes et ceci non pas uniquement en termes d’intérêt personnel mais pour le collectif d’enfants qu’ils représentent. « J’ai trouvé bien parce que c’est un endroit où les enfants peuvent s’exprimer sur le quartier et c’est bien ». Le rôle des accompagnant/e/s consiste à permettre que la discussion ait lieu, à aider à développer des projets réalisables, à soutenir la participation, et donc l’implication, en proposant un cadre respectant les capacités enfantines.

De fait, l’expérience lausannoise de ces conseils met en évidence la conscience et la compréhension que les enfants peuvent développer sur des enjeux locaux, par exemple la répartition des usages de l’espace physique dans leur quartier, et stimule leur réflexivité dans le sens où elles et ils parviennent à évaluer ce qu’il est raisonnable d’obtenir des adultes et des pouvoirs publics par rapport à leurs demandes. « On serait pas tellement déçu car si le conseil des enfants n’avait pas existé et bien ça aurait été la même chose. On pourrait dire : vous avez au moins essayé. » Ce pragmatisme enfantin tend à montrer que pour les enfants concernés, ce qui importe, c’est le renforcement des sociabilités que la participation favorise, mais surtout la reconnaissance de l’engagement et de l’effort fourni.

Au-delà de l’apprentissage des régulations collectives (négociation et consensus), les conseils sont aussi des espaces où se jouent les sociabilités enfantines et intergénérationnelles. En effet, ils suscitent une réflexion sur soi, sur sa place et sur ses propres souhaits pour mieux agir avec d’autres sur cet environnement composé d’espaces publics, de places et de relations sociales. « On a appris à s’exprimer, à parler de notre quartier, d’être plus libre, de ne pas garder les mots dans son coeur, de les lâcher quoi. » La participation au conseil et l’engagement des enfants dans la durée reposent en partie sur les amitiés et les inimitiés entre les protagonistes et sur la manière dont les adultes en charge de l’animation régulent les débats, gèrent les conflits et garantissent une certaine équité de traitement entre toutes et tous. Les enfants sont non seulement capables de mobiliser un double ensemble de règles, celles imposées par les adultes et la société et celles qu’elles et ils se fabriquent pour organiser leurs relations et se répartir les espaces, mais manifestent aussi une grande sensibilité aux questions de justice. « Je mettrais une règle, c’est que s’il y a des enfants de 10 à 12 ans, c’est comme ça, parce qu’il y a plein d’enfants qui voulaient venir puis ils pouvaient pas venir parce qu’ils avaient pas l’âge et il y a plein d’enfants du même âge qui sont venus. C’est pas juste pour les autres… ».

Pourquoi les 9-12 ans ?

Les enfants âgés de 9 à 12 ans se situent dans un entre-deux, elles et ils sont soit les plus âgé·e·s de l’école primaire, soit fréquentent le cycle (entre les primaires et les secondaires), soit sont les plus jeunes du secondaire. Plus tout à fait enfants, et pas encore adolescents, elles et ils sont considéré/e/s comme des « tweens » (Johansson, 2004) ou des « adonaissants » (De Singly, 2006), autrement dit entre l’enfance et l’adolescence. Conscient/e/s de leur statut intermédiaire, elles et ils manifestent à la fois leur envie de devenir adolescent/e/s tout en marquant leur non appartenance à cette catégorie. Cette manière de s’envisager donne lieu à des pratiques qui se différencient à la fois de celles des plus petits (on joue moins, on discute plus) et des plus grands (on n’a pas accès à certains espaces). L’espace, en tant que territoire, semble dès lors très marqué par des activités enfantines qui se distinguent en fonction de l’âge et du sexe (Depeau, 2000). La vie en commun dans le quartier pose alors la question de la régulation des rapports sociaux (âge, sexe, provenance socioculturelle, etc.) entre enfants et de l’utilisation des espaces. La dimension du « sexe », comme rapport social, s’avère particulièrement importante à prendre en compte dans le cadre de l’accès à la parole, à la reconnaissance et à la sphère publique en ce qui concerne les filles (Palazzo, 2005). Du point de vue cognitif cette classe d’âge est également caractéristique de la construction de nouvelles relations à autrui.
Dans la mesure où il s’agit d’enfants, les conseils se doivent de tenir compte de leurs capacités et intérêts spécifiques. La mise en oeuvre de ce type d’expériences se doit donc de ne pas privilégier uniquement un espace de débat, mais de considérer aussi les modes d’apprentissage et de participation qui correspondent à cette tranche d’âge et qui passent par une action concrète, visible et reconnaissable. Il s’agit par là d’assurer la visibilité de ce que les enfants pensent et savent faire, préalable nécessaire à toute construction d’un sentiment de reconnaissance. Ce qui signifie que les adultes doivent explicitement prendre l’engagement de donner une place à des réalisations par l’action qui, par ailleurs, peuvent permettre une certaine publicité à l’échelle du quartier et de la ville. Parmi les sujets de discussion et les actions envisagées, l’idée est de partir au plus près de la vie quotidienne des enfants ainsi que de leur réalité proprement enfantine. Dans cette perspective, les thématiques retenues tiennent compte des interactions et des relations entre pairs, et plus particulièrement des relations entre filles et garçons, des relations avec les plus grands et avec les adultes, à l’échelle du quartier toujours. Plus généralement, elles permettent d’appréhender la place que les enfants estiment avoir et celle qu’ils revendiquent. Autrement dit, elles amènent à la possibilité de questionner les positions et les statuts de chacun et de chacune et donc d’aborder les questions d’inégalité et de discrimination. Ce qui nous paraît essentiel en termes de prévention et de philosophie.



Bibliographie:

- Depeau, Sandrine (2000), « Le chemin de l’école : modes de socialisation en milieu urbain », in Saadi-Mokrane, Djamila [Ed]. Sociétés et cultures enfantines, Lille : CSU, 151-158;

- De Singly, François (2006). Les Adonaissants. Paris : Armand Colin;

- Johansson, Barbro (2004), « Generationing in Consumer Contexts », Conference Paper, Pluridisciplinarity Perspectives on Child and Teen Consumption, Angoulême;

- Palazzo-Crettol, Clothilde et Malatesta, Dominique (2005). Evaluation des conseils d’enfants de la ville de Lausanne. Lausanne : EESP;

- Vulbeau, Alain (2006). Surveillance et gouvernance : deux objets pour une sociologie de l’enfance. In Sirota, Régine [Ed]. Eléments pour une sociologie de l’enfance. Rennes : PUR, 195-204.


Notes:

(1) Les renseignements sont tirés de l’article suivant : Quesel, Carsten (2005). Partizipation von Kindern und Jugendllichen – aktuelle Entwicklungen in der Schweiz. In Demokratie Leben Demokratie Lernen Textsammlung. Bern : Staatssekretariat für Bildung und Forschung SBF. pp. 59-60.

(2) Cette recherche, conduite dans le cadre de la Haute École Vaudoise de Travail Social et de la Santé (Vaud. Eésp, Lausanne. HES-SO), est financée par le Fonds national de la recherche scientifique suisse et par la ville de Lausanne
   
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