NEVE
Le site expérimental de Crêta Besse, l'un des plus appropriés pour l'étude des grandes avalanches grâce à son emplacement favorable, est équipé pour analyser ces phénomènes naturels.
LES AVALANCHES …LE COMBAT CONTINUE
par Walter J. Ammann, François Dufour
Urs Gruber Institut Fédéral pour l'Etude de la Neige et des Avalanches
1. Bref historique
Cassure dans la zone de rupture.La neige, source de plaisir intense pour de nombreux skieurs, surfeurs ou randonneurs, peut aussi être cause de préoccupations et même de désespoirs pour les responsables de la sécurité de nos régions touristiques.
De multiples ex-voto, datant du XVIIème siècle et tapissant nos chapelles, nous rappellent que les avalanches avaient déjà une place importante dans la vie de cette époque. Plus récemment, lors de l'hiver 1950/51, année triste s'il en est, 98 personnes périrent sous les avalanches. La Confédération décida alors d'intensifier ses efforts de recherche pour diminuer les effets dévastateurs des avalanches. L'Institut Fédéral pour l'Etude de la Neige et des Avalanches de Davos (SLF) mit tout en œuvre pour que les moyens de lutte active (ouvrages paravalanches, digues, fermeture de routes, évacuations, etc.) et passive (prévisions, carte de dangers, information, etc.) contre les avalanches soient sensiblement améliorés.
Durant les mois de janvier et février 1999, une situation exceptionnelle aussi bien au niveau de la quantité de neige, plus de 5 mètres de neige fraîche, que de la répétition de conditions météorologiques désastreuses provoqua de nombreuses avalanches avec des dégâts considérables. On eut même à déplorer 17 victimes en Suisse durant le mois de février. Ce chiffre est sensiblement inférieur à celui de 1951. Il est la preuve que les efforts déployés dans le domaine de la neige et des avalanches ont porté leurs fruits. Ceci est d'autant plus vrai si l'on sait que le nombre de résidents dans l'espace alpin a été multiplié par trois depuis 1951 et que les voies de communication ont fortement augmenté durant ces dernières décennies.
Le " combat " n'est cependant de loin pas terminé. Les événements de février 1999 ont mis en évidence certaines lacunes aussi bien dans le domaine de la prévention que dans celui de l'organisation des services de sécurité. Le SLF de Davos continue ses recherches afin d'offrir aux cantons des moyens toujours plus efficaces de lutter contre les avalanches.

2. Dynamique des grandes avalanches
Aérosol de l'avalanche du 25 février 1999.Qu'est-ce qu'une grande avalanche ? Pour simplifier, on dira qu'une grande avalanche a plus de 1000 m de longueur et est plutôt dangereuse pour les agglomérations et les voies de communications. Une avalanche petite ou moyenne, entre 50 et 1.000 m, concerne plus spécifiquement les skieurs, surfeurs et randonneurs.
Un groupe de chercheurs du SLF étudie, depuis de nombreuses années, la dynamique des grandes avalanches. Le but principal de ces études était et est de mieux connaître les processus physiques des avalanches poudreuses et coulantes. Ces nouvelles données doivent permettre d'améliorer les modèles d'avalanches existants et de développer de nouvelles méthodes numériques de simulation. Ces modèles serviront ensuite à établir plus précisément les cartes de danger, documents importants pour les plans de zones d'aménagement local, à dimensionner les ouvrages paravalanches et à vérifier les charges sur différents types d'obstacles.
Comme il est évident que les avalanches sont extrêmement dangereuses, il est difficile de récolter des données précises qui les définissent. Cependant, pour le développement de modèles de bonne qualité, il est nécessaire d'avoir à disposition des données non seulement sur les zones de rupture et de dépôt (volume et densité) mais aussi sur les vitesses, les pressions et les hauteurs des avalanches. Il est donc indispensable de connaître leurs principaux paramètres physiques avant, pendant et après leur déclenchement.

3. Site de la " Vallee de la Sionne "
Afin d'étudier les grandes avalanches à l'échelle 1 : 1, plusieurs sites potentiels ont été évalués dans le cadre de l'Arc Alpin et celui de la Vallée de la Sionne, dans le vallon d'Arbaz situé au-dessus de Sion en Suisse, a été retenu comme étant le plus approprié.
Ces principales particularités sont : un couloir pentu (entre 25° et 45°) avec un grand dénivelé (1.200 m), de bonnes possibilités de mesures et d'observation, des routes d'accès existantes et un climat favorable. Pour la sécurité des gens et des biens, il est donc nécessaire de pouvoir interdire l'accès au vallon à toute personne durant les essais.
Le couloir de Crêta Besse a ainsi été équipé de différents appareils de mesure, d'obstacles et d'un abri d'observation (bunker) qui permettent de récolter le maximum d'informations sur les grandes avalanches.

4. Hiver 1998/1999
L'hiver 1998/99, et tout particulièrement la période du 26 janvier au 25 février 1999, peut être considéré comme exceptionnel au niveau pour les activités avalancheuses de grande importance qui mirent en danger les agglomérations alpines et les voies de communication.
Dans la vallée de la Sionne, une avalanche spontanée eut lieu déjà le 12 décembre 1998 et put être mesurée grâce à un appareillage à déclenchement automatique. A partir du 26 janvier, par fort vent du Nord-Ouest, trois périodes de fortes chutes de neige se succédèrent à faible intervalle. Après chaque chute de neige, une courte période de beau temps permit de déclencher artificiellement trois grandes avalanches.
Chaque avalanche atteignit les obstacles construits dans le couloir à 1650 m d'altitude et remonta même sur le versant opposé en recouvrant partiellement, voire même totalement, l'abri d'observation prévu à cet effet.
Vu leur ampleur exceptionnelle, il fallut déplorer quelques dégâts aussi bien aux ouvrages qu'aux routes et aux forêts. Ils restèrent cependant dans des limites acceptables.

5. Essais et resultats
Dans la vallée de la Sionne au cours de l'année 1999 deux stations de mesures nivo-météo, installées sur la zone du site, permirent de connaître l'évolution du manteau neigeux durant tout l'hiver. La hauteur moyenne de neige fraîche mesurée, avant les trois avalanches déclenchées artificiellement en janvier et février, se situait entre 1,2 m et 1,5 m. Les chutes de neige furent accompagnées d'un fort vent.
Bilan des masses des avalanches
Grâce à la photogrammétrie, méthode permettant de restituer le terrain en trois dimensions, la hauteur de neige de la cassure et le volume total du dépôt des avalanches du 30 janvier, 10 et 25 février, purent être mesurés. L'épaisseur moyenne de la cassure avait entre 1,0 m et 2,1 m tandis que le total du volume de neige déposé était d'environ 1.4 Mio m3 avec une densité de 400 à 500 kg/m3. Comme les volumes de la zone de rupture furent nettement inférieurs à ceux de la zone de dépôt, on peut en déduire que la neige fraîche située sur le trajet de chaque avalanche fut également emportée.
Lors de l'avalanche du 10 février 1999, on put aussi estimer plus précisément le volume de neige de la zone de rupture. Les résultats montrèrent clairement que l'épaisseur de la cassure n'est pas automatiquement représentative du volume de neige de cette zone.
La hauteur maximale mesurée dans la zone de dépôt dépassa les 30 mètres. Le bunker fut atteint par les trois avalanches. Le 25 février, il fallut même creuser un trou de 5 mètres afin de libérer ses occupants. La densité de la neige était telle qu'elle nécessita l'utilisation d'une tronçonneuse.
Les trois radars FMCW, installés le long de la trajectoire de l'avalanche, permirent d'analyser et de définir les différentes couches du manteau neigeux et de l'avalanche. Ils confirmèrent les résultats déjà révélés par la photogrammétrie soit que la totalité de la neige fraîche et une partie du manteau neigeux ancien ont été emportés par l'avalanche tout au long de sa trajectoire. Ce phénomène n'a pas été suffisamment pris en compte dans les modèles actuels et conduit à un volume de dépôt beaucoup trop faible. Ceci devra être, dans le futur, amélioré.
Mesure des vitesses
Pour pouvoir définir le plus précisément possible les vitesses des avalanches, des mesures furent effectuées par vidéo et par radars. Le but des prises vidéo, établies depuis différents points de vue, est de restituer la position du front de l'avalanche et sa hauteur à chaque moment. Les images vidéo furent géoréférencées au moyen de points d'ajustage et de modèles numériques de terrain. On put ainsi représenter l'évolution de la position du front sur une carte.
Ceci permit de définir la vitesse du front en fonction d'un profil de trajectoire choisi. Dans la zone des obstacles, soit 1.000 m sous la cassure, la vitesse du front fut de 180 (30 janvier) à 280 km/h (25 février). Grâce à la vidéo, il fut aussi possible d'estimer la hauteur de l'aérosol (nuage de l'avalanche, voir photo) en chaque point désiré .
Les radars Doppler, situés dans le bunker et dirigés sur le parcours de l'avalanche, mesurèrent non seulement la vitesse du front, mais également les vitesses maximum à l'intérieur de l'avalanche. Lors de l'événement du 25 février, la vitesse maximum de 400 km/h fut atteinte à l'intérieur de l'avalanche, soit plus de 100 km/h plus vite que celle du front. Ces résultats montrent clairement le caractère turbulent des grandes avalanches et permettent une meilleure compréhension de leur dynamique.
Mesures des pressions
Comme certaines avalanches de l'hiver 98/99 furent nettement plus grandes que l'avalanche de référence, les obstacles construits sur leur trajectoire pour mesurer les pressions exercées par celles-ci subirent quelques dommages. Cependant, certaines mesures d'interaction avalanches-obstacles purent être effectuées. Le 10 février, on enregistra une pression quasi stationnaire de 50 t/m2 (équivalant au poids d'env. 20 éléphants sur un mètre carré) durant une période de plusieurs secondes et des chocs ponctuels de particules allant jusqu'à 120 t/m2. Ces mesures confirmèrent qu'il faut tenir compte, dans l'établissement de modèles dynamiques d'avalanches mixtes, de l'existence de trois différentes couches, soit : une partie inférieure dense, une couche intermédiaire composée de boules de neige de 1 à 100 cm (couche de saltation) et un nuage de poudreuse (aérosol).
Les chocs ponctuels mesurés furent provoqués par les boules de neige de la couche de saltation. Cette couche est aussi confirmée par les images vidéo prises depuis le bunker juste avant l'arrivée de l'avalanche.
La forêt
Pour définir les zones de risques d'une région habitée, il ne suffit pas de connaître les forces engendrées par une avalanche mais il faut aussi savoir avec quelle fréquence une avalanche d'une certaine dimension peut se produire. La détermination de cette période de retour a été estimée pour les avalanches de 1999 dans la Vallée de la Sionne en étudiant aussi bien l'âge des arbres intacts que celui des arbres endommagés ou détruits. Sur la pente de Crêta Besse, on a relevé, à une altitude de plus de 1.750 m, des îlots de forêts n'ayant subi aucun dommage dû à des avalanches depuis plus de 250 ans. L'arbre le plus ancien détruit par les avalanches de l'hiver 98/99 est âgé de 207 ans. Cependant, la plupart des grands arbres détruits ne sont âgés que de 100 ans. La période de retour de l'avalanche du 25 février devrait donc être d'environ 100 ans.
En outre, sur la base d'échantillons d'arbres endommagés, il a été possible de définir les pressions que les avalanches ont produites sur la forêt.

6. Enseignements
L'hiver 98/99 fut, au niveau de la recherche, d'une très grande richesse. Il permit de mieux cerner le phénomène " grande avalanche " et de mettre à disposition des praticiens des moyens plus précis de détermination des zones de danger dans le cadre d'urbanisations. Dans le site de la Vallée de la Sionne, en plus des dégâts occasionnés aux forêts et aux obstacles, il fallut aussi résoudre les problèmes posés par les énormes dépôts de neige recouvrant la rivière. Il n'y eut, heureusement, aucune conséquence à déplorer.
Ces premières expériences accumulées durant cet hiver exceptionnel ont également donné l'occasion d'améliorer la qualité des installations de mesure afin d'approcher de toujours plus près les secrets des grandes avalanches…

   
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