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Une poésie pour s'évader

Comment harmoniser désir de liberté et nécessité d’apprendre en milieu carcéral.

Le projet " Conseguimento della licenza media presso la casa Circondariale di Brissogne", de l'ENAIP (l’institution de formation mise en place par l'ACLI), a bénéficié du soutien du Fonds Social Européen et a pour but de pourvoir au manque de cours officiels. J'ai participé à l’élaboration de ce projet et j’en suis devenue la responsable et la coordinatrice didactique.
Ce projet a vu le jour pendant les années scolaires 2002-2003 et 2004-2005, grâce à la collaboration de l'Institution scolaire Aoste 5, qui a mis à disposition les professeurs d'italien, de français, d'anglais, de mathématiques et d'éducation artistique et musicale et qui a fourni les livres et le soutien didactique, et grâce aux Institutions scolaires Monte Emilius 2 et Monte Emilius 3, qui ont accueilli les élèves détenus lors des épreuves de l'examen final du secondaire du 1er degré.
La maison d’arrêt d'Aoste accueille des détenus dont la peine ou le restant de peine ne doit pas excéder trois ans.
Le peu de temps à disposition rend difficile non seulement l'introduction de longs parcours de formation continue, mais aussi la création de liens entre, d’un côté, les parcours formatifs qui ont pu précéder la détention et, de l’autre, les projets de rattrapage scolaire ou d'études complémentaires. Il est très dur, et dans certains cas pratiquement vain, d’envisager une éventuelle continuité au-delà de la période de détention en Vallée Aoste.

La chance d'être libre

Enseigner aux détenus de Brissogne est pour moi une expérience très forte pour plusieurs raisons. D’abord, avant de retrouver mes élèves, je dois traverser une multitude de grilles et parcourir de nombreux couloirs. À chaque pas, j’ai l’impression de m’éloigner un peu plus de la réalité et de mes convictions et, quand j’arrive dans la salle de classe, en face de moi, je trouve des détenus et donc des personnes privées de leur liberté. Leur air souvent désabusé manifeste sans le dire le besoin urgent qu’ils ont de nourrir leurs pensées.
Les détenus, avec leur histoire, leurs incertitudes et leur fragilité, sont là muets ; par leur seule présence, ils me rappellent la chance que j’ai d’être libre. Chaque fois que je les rencontre, je me rends compte que j’ai beaucoup à apprendre d’eux ; plus encore à recevoir qu'à donner. Les notions et compétences que je viens leur transmettre, que je croyais fondamentales avant de franchir le seuil de la maison d’arrêt, me semblent subitement vaines, aussi bien pour eux que pour moi ; et pourtant, dans leurs yeux, je crois lire que je suis une ressource, une opportunité ; que je suis un lien avec le monde extérieur, une oreille attentive qui peut comprendre, une voix accueillante et familière. Mais, à chaque fois, j’essaie de ne pas perdre de vue que ma présence doit être synonyme d’engagement et de but à atteindre.
À la maison d’arrêt, mes certitudes professionnelles, l’aplomb que j’ai habituellement dans mes classes de jeunes élèves, s’ébranlent quelque peu.
Ici, ce sont des hommes seuls, au regard parfois hagard, à l’attitude parfois effrontée, à la limite de l’agressivité. Parfois ils sont distraits, mais certains, par contre, boivent mes paroles et c’est à ce moment précis que monte en moi le sentiment d'une grande responsabilité. Je me mets alors à inventer une nouvelle façon de faire et je comprends un peu mieux que les valeurs liées à ma profession ne se manifestent pas tant par ce que je dis mais par mes actions, par ce que je fais. L'essentiel, c'est l'intention de départ, le désir qui me pousse vers eux pour travailler avec eux. Et pendant que je donne quelques petites consignes pour écrire, répéter, lire au tableau, etc., ils sont attentifs. Ils répondent consciencieusement et je n’ai pas l’impression qu’ils s’adressent au professeur que je suis mais à la personne qui s'efforce de communiquer avec eux.

Ambra Arangio


Dès la première année, le projet a préparé les douze élèves inscrits, non seulement au diplôme de fin d'études du secondaire du 1er degré, mais aussi, à l’acquisition des connaissances et des compétences pouvant leur être utiles lors de leur réinsertion dans la société et dans le monde du travail.
Pendant l'année scolaire 2002-2003, le groupe-classe était homogène : les douze détenus étaient tous originaires du Maroc. En revanche, en 2004-2005, il y avait trois Albanais, quatre Algériens, un Tunisien, un Marocain, un Brésilien et trois Italiens : groupe plus complexe, mais aussi plus stimulant.
Les nombreuses difficultés n'ont cependant pas entravé la forte mobilisation des Institutions scolaires engagées dans le projet ni celle des enseignants bénévoles qui se sont pliés de bon gré à certaines exigences afin que le droit à la formation des détenus devienne une réalité.

Le déroulement du projet

La première phase du projet a concerné la préparation des professeurs, du tuteur, du médiateur linguistique (les élèves étant pour la plupart d’origine étrangère) et de la coordinatrice.
D’abord il a fallu nous former à l’accueil et à la prise en compte des niveaux de départ et des attentes des détenus; puis nous avons élaboré des parcours didactiques individualisés ; ensuite nous avons déterminé les modalités d’accompagnement et d’intervention du tuteur et enfin nous avons mis sur pied le suivi des apprentissages et de la participation des élèves.
Les 400 heures prévues ont été réparties en cinq modules d'enseignement-apprentissage.
• Module 1 : 180 heures consacrées aux langues (55 h d'italien, 55 h de français), à l’histoire, à la géographie, à l’éducation à la citoyenneté (40 h) et à l’anglais (30 h) ;
• Module 2 : 100 heures partagées entre les maths (40 h), l’éducation technique (35 h) et les sciences (25 h) ;
• Module 3 : 55 h consacrées au domaine artistique et musical ;
• Module 4 : 35 h d'informatique ;
• Module 5 : 30 h d'orientation.
Pour atteindre les finalités, il a été fondamental que, d’un commun accord, l’équipe du projet formule, un certain nombre d’hypothèses d'apprentissage et de développement de compétences spécifiques en milieu carcéral.
Le fait d’être privé de liberté, ainsi que l'obligation de vivre dans des espaces confinés et socialement réduits, sans contact avec les proches ou avec la nature, a des conséquences lourdes, non seulement sur la motivation mais aussi sur les capacités cognitives et émotives essentielles dans le processus d'apprentissage. D'autre part le désir de rachat, le besoin d'occuper intelligemment son temps, représentent des stimulants importants et sont devenus LES motivations premières pour l’implication des détenus dans le projet.

Il destino e la speranza

Ho male, non ho ferite
Ho freddo, non è tramonto
Ho pace, non ho guerra
Ho le idee, non ho sentimenti
Ho le ali, non ho libertà
Ho nostalgia, non ho la mamma
Ho tristezza, non ho lacrime
Ho amore, non ho amante.
Ho speranza in Dio e nell'arrivo della pace,
ho creduto in Dio e nel destino,
con pazienza aspetto che arrivi la libertà.

M'hammed Fettach

Les cours d’alphabétisation

Suite à l'augmentation du nombre des détenus étrangers (plus de 60 %), en 2004 et 2006, deux cours d'alphabétisation socio-linguistique ont été organisés par l'ENAIP et financés par le FSE.
Les deux cours, de 120 heures chacun, ont été partagés en contenus linguistiques (lecture, écriture, vocabulaire et morphosyntaxe) et contenus sociolinguistiques (approfondissement des connaissances de la réalité valdôtaine ou italienne en général, éclairage sur certains aspects du monde du travail, etc.).
Ils ont été largement suivis par les détenus.
La formation linguistique figure sans aucun doute parmi les initiatives les plus utiles pour le détenu étranger, car elle permet soit de mieux vivre la période de détention et de faciliter les contacts avec la Justice, soit de construire de façon plus solide son propre projet migratoire et son projet de vie.
La possibilité d’améliorer l’apprentissage de la langue italienne est, en fait, un des premiers besoins des étrangers : la langue est le principal instrument qui permet d’aborder un contexte nouveau. C’est aussi le cas en milieu carcéral où l’impact est souvent vécu comme une lutte à armes inégales avec la structure carcérale dans son ensemble. La rencontre entre les détenus étrangers et le milieu pénitentiaire passe à travers la possibilité de comprendre, de se faire comprendre, de recueillir et de fournir des informations précises et parfois techniques (au moment des rencontres avec les avocats, par exemple).
En fait, le projet de vie des détenus étrangers ne doit pas se limiter au séjour carcéral. Même s’il existe un risque d'expulsion du territoire italien, il est probable que la plupart chercheront à revenir dans notre pays. Ils seront alors plus à même d’envisager le voyage dans de meilleures conditions, avec plus de chances de réussite, en évitant de replonger dans la délinquance, en améliorant leur situation sociale, avec un avantage évident pour toute la communauté.

Dietro le sbarre
La libertà è… oltre le sbarre,
la libertà è una parola dolce, …
quando stavo fuori
non godevo della libertà,
ma dentro…
sento la mancanza della libertà.
Dal finestrino annuso l'aria pura,
vedo la campagna verde,
la pioggia cadere,
il cielo triste, pieno di nuvole.
Datemi la libertà, liberate
le mie mani perché ho dato
tutto quello che io avevo.
Un giorno pensavo ad un uccello
che era riuscito a volare dalla cella
per andare lontano…
per cercare quella bella e dolce libertà
E annusarla, con tranquillità.

M'hammed Fettach

 

Maria Teresa Brunod

couriel