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La mer qu'on voit danser

« La mer qu'on voit danser / Le long des golfes clairs / A des reflets d'argent / La mer / Des reflets changeants sous la pluie ». (Charles Trenet)

D’habitude, pour que les enfants acquièrent de bonnes compétences musicales, il est nécessaire de mettre sur pied des parcours spécifiques. Il existe de multiples méthodes pour leur apprendre à jouer d’un instrument, pour les initier à la « grammaire musicale » et les former à l’amour de la musique en partant directement de la musique elle-même. Dans ce domaine, il est fondamental de donner aux enfants la possibilité d’affiner leur oreille et leur sensibilité musicale.
L’éducation musicale peut être considérée aussi bien comme moyen que comme but ; il est tout à fait possible de l’introduire dès la maternelle en privilégiant les registres de l’écoute et de la voix.
On peut inviter les enfants de trois, quatre et cinq ans à chanter afin de parfaire progressivement leurs capacités de communication et d’expression de soi. Ainsi, les différents champs disciplinaires tels que le langage, le corps, l’espace, le temps, la mesure, coïncident, se croisent et se complètent. Les sons, les morceaux de musique qu’on leur fait écouter, les chansons apprises ensemble, les jeux chantés, les comptines, forment un ensemble d’expériences, de moments musicaux qui rythment la journée des enfants et deviennent des points de référence.
Les petits garçons et les petites filles vivent la musique comme une aventure, une découverte continuelle qui leur fait découvrir d’une autre manière la vie, la joie, les couleurs, les mots, les pensées, le rythme et le silence. Elle est une expression personnelle de créativité, enrichie de gestes improvisés. Les sons, les mouvements naissent naturellement du rythme intérieur de chacun. La musique envahit le corps et l’esprit. Elle est donc inséparable de toute activité expressive.
Nous avons proposé aux enfants des jeux faisant appel à l’écoute; l’objectif principal étant, après un moment d’écoute individuelle, de susciter la collaboration entre les enfants. Des objectifs disciplinaires et interdisciplinaires entraient ainsi en jeux.
Les jeux musicaux coopératifs sont très importants car ils ne se limitent pas à l’expérience individuelle. Leur but est de la dépasser pour atteindre l’expérience collective, faite de solidarité et de respect de l’autre. Les enfants prennent mieux conscience de leur corps, de celui des autres et de l’espace environnant.

Écouter tous ensemble avec les oreilles et le corps

Durant le premier exercice, les enfants devaient agiter un drap, le faire danser au rythme de deux morceaux de musique marqués par des accents dynamiques et agogiques différents : Carmina Burana de Carl Orff et L’aquarium de Camille Saint-Saëns.
Les enfants se sont mis autour d’un drap, l’ont pris en main de façon à ce que la toile soit bien tendue.
Au début, ils se sont disposés comme ils le souhaitaient et il n’a pas fallu longtemps pour qu’ils occupent spontanément tout le périmètre et qu’ils fassent bien attention à ce que le drap ne touche pas par terre. Le groupe s’est donc naturellement organisé pour trouver un équilibre, chacun étant attentif aux autres.
Lorsque nous leur avons proposé une musique très rythmée, les enfants ont d’abord fait des mouvements désordonnés, plutôt brusques ; certains tiraient fort, d’autres mollement. Quand le drap leur échappait des mains, ils s’interpellaient pour reprendre l’étoffe et harmoniser leurs gestes.
Les yeux des enfants étaient rivés sur les mouvements du tissu qui se gonflait, se levait et s’abaissait en douceur, au rythme de la musique. Ensuite, ils ont raconté leurs impressions, leurs sensations : images du mouvement des vagues, de la course des nuages, du souffle du vent, de la voile d’un navire, bref, tout un univers magique, fantastique et musical.
On a pu vérifier à quel point l’imagination des enfants et leur spontanéité étaient immenses quand leurs sensations les plus profondes étaient sollicitées.
Nous avons aussi proposé aux enfants une variante de l’exercice, tout aussi agréable et stimulante : deux ou trois petits se sont allongés sous le drap pendant que les autres l’agitaient afin de voir les choses sous une autre perspective et éprouver de nouvelles sensations.
Quand nous sommes passés à l’écoute du deuxième morceau, sa structure rythmique avait une mélodie dense et rapide, elle les a entraînés à exécuter de petits mouvements. La toile frissonnait et ceux qui étaient en-dessous semblaient charmés, hypnotisés. Une fois l’expérience terminée, ils nous ont parlé d’une pluie de gouttes d’eau.
L’atmosphère était telle que tous les enfants se laissaient doucement bercer par ces vagues imaginaires. Pour nous aussi le spectacle était fascinant. Nous observions les réactions des enfants, leurs regards, leurs gestes, leur interaction harmonieuse.
En fait, à partir de cette activité toute simple et facile à réaliser, il est possible de travailler sur des objectifs complexes et fondamentaux qui concernent l’identité, la relation aux autres et la prise en compte de l’espace.
Même si l’écoute de la musique est généralement perçue comme une activité individuelle, pourtant dans ce cas, grâce à un simple drap, qui agit comme un récepteur et un révélateur des sensations, les émotions de chacun s’extériorisent. L’écoute devient un acte collectif, vécu et partagé avec les autres. Grâce à cet objet-médiateur, l’approche de mélodies, pas toujours faciles à comprendre à cet âge, devient tout à fait réalisable.
La musique donne aux enfants l’envie de bouger, les mouvements se propagent à travers le drap et transforment des sensations individuelles en sensations partagées par tous.
Cette activité vécue intensément a été suivie d’un silence profond, inséparable de la musique elle-même car il en est l’arbitre.

Cristiana Clusaz

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