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Apprendre entre peur et curiosité

Viérin

Le mécanisme à travers lequel nous apprenons à avoir confiance en nos propres capacités et en notre habileté est lié à l’apprentissage.
C’est en apprenant une chose après l’autre que nous construisons notre existence : voilà pourquoi la connaissance est l’outil par excellence de l’épanouissement de l’individu, l’outil grâce auquel ce dernier peut s’implanter sur un territoire, construire des relations sociales et consolider ses acquis, autrement dit progresser.
Il est donc indispensable d’apprendre et de continuer à apprendre tout au long de sa vie, non seulement afin de survivre, mais surtout afin d’évoluer en tant que personne et dans ses relations avec les autres.
Mais qu’est-ce qui pousse donc les êtres humains à apprendre ? Il me semble que c’est l’une des émotions primaires de tout être vivant, la curiosité.
Pourtant, celle-ci est freinée – ce qui limite d’autant la possibilité de tirer une leçon de toute nouvelle expérience – par une seconde émotion primaire, la peur.
Naturellement, la peur joue un rôle fondamental dans ce processus car, sans elle, nous aurions bien du mal à rester en vie, précisément parce que nous ne percevrions pas le danger. Il n’en reste pas moins qu’une peur incontrôlée pourrait nous conduire à un immobilisme excessif.
La notion de sécurité est le fruit de multiples tentatives et de bon nombre d’erreurs, l’addition progressive de connaissances et de compétences, le fait d’avoir appris peu à peu comment résoudre les difficultés rencontrées. Et l’outil qui nous facilite l’expérimentation est la curiosité, la curiosité à l’égard de ce que nous ne connaissons pas ou ne savons pas faire.
La capacité de vivre, d’apprendre et, par conséquent, de progresser est donc étroitement liée à cet équilibre dynamique de la curiosité et de la peur.
Par ailleurs, la diffusion de connaissances issues de multiples sources permet aux jeunes générations de se doter d’une culture plus libre et indépendante, ce qui les rend capables de mieux penser.
Nous ne devons donc pas nous « résigner » à la nécessité d’apprendre comme à un inévitable ennui, mais au contraire percevoir la ressource qui se cache derrière cette démarche. Nous ne devons pas « souffrir » de cette possibilité qui nous est donnée d’en savoir plus, mais comprendre à quel point elle peut nous être utile et constituer un véritable moteur pour notre essor personnel et social.
La peur de progresser dans le domaine des connaissances et le fait de mettre des limites à notre curiosité ressemblent dangereusement à ce que l’on pourrait appeler la « peur de grandir » : or, l’une des tâches fondamentales du système d’éducation consiste à combattre ces craintes pour faire naître la soif de culture et de découverte chez les adultes de demain.
L’histoire de l'école italienne au cours des cinquante dernières années est l'histoire d'une centralisation et d'une nationalisation progressives. La standardisation de ses programmes à l'échelon national, la gestion centralisée de son personnel et son organisation centrale ramifiée ont constitué autant de signes de la main-mise de l'État sur l'instruction, une démarche clairement axée sur la centralisation, la rigidité et l'aspect impersonnel du système éducatif italien. La prédominance du débat idéologique a détourné l'attention de la nécessité d'améliorer la qualité du service pour faire de l'école, comme de tant d'autres secteurs stratégiques, un véritable champ de bataille, une situation qui a rejeté au second plan l'analyse des besoins et conditionné tous les processus de réforme. Si bien que jusqu'à ce jour, le monde de l'école a connu une succession d'initiatives, de propositions et de modèles souvent contrastants du point de vue non seulement de la didactique mais aussi, et plus fréquemment, de l'organisation et de la gestion, sous l'impulsion - tour à tour - du monde culturel et des entreprises, des associations d'enseignants et même des diverses administrations. La source d'inspiration des dispositions relatives à l'autonomie scolaire est précisément issue de ce climat de contradictions, qui légitime d'ailleurs dans une certaine mesure la légère dérive autoréférentielle de ces dernières années.
Pour ce qui est de l'exercice pratique de l'autonomie, notamment dans le domaine scolaire, la Vallée d'Aoste a toujours été observée attentivement, un peu comme si elle était une sorte de laboratoire où puiser l'inspiration et, parfois même, où trouver des solutions efficaces et efficientes.
Car toute mesure visant à briser la centralisation du système scolaire ne relève pas exclusivement d'un processus purement administratif et législatif : elle est aussi le fruit d'une certaine culture.
Notre communauté a toujours associé la revendication de l'autonomie reconnue par le Statut spécial de la Vallée à la décentralisation des pouvoirs - ainsi que des responsabilités ! - en matière d'instruction et de formation. Cette conception valdôtaine de l'école a pris des formes différentes, qui vont du modèle réduit de système ministériel que soutiennent les uns, au transfert de compétences en matière de personnel que proposent les autres.
Quinze ans avant l'adoption du DPR n° 861 de 1975, Corrado Gex avait déjà - et il fut le premier - mis en évidence le fait que l'État pouvait utiliser comme un moyen de pression, voire de chantage, les pouvoirs qui étaient les siens en matière de nomination du personnel scolaire de la Vallée d'Aoste. Aujourd'hui, la question qui nous intéresse concerne l'obtention d'une autonomie accrue dans le cadre de compétences mieux définies et plus structurées et le fait que la Région puisse prendre les décisions relatives au statut juridique et économique des enseignants. C'est là un thème qui doit figurer dans la réflexion culturelle amorcée par la loi sur l'autonomie scolaire et qui nous impose d'élaborer des concepts et des initiatives propres à conjuguer harmonieusement les requêtes des divers établissements au sein d'un modèle régional bien précis.
Si nous nous penchons sur le contexte de la Province autonome de Trente, nous pouvons constater qu'en dix ans, depuis l'approbation du DPR n° 405 de 1988, la situation a évolué dans ce sens, avec dans un premier temps le décret législatif n° 433 de 1996, qui a abouti à la promulgation de la L.R. n° 5 du 7 août 2006 sur le système éducatif d'instruction et de formation du Trentin.
Les dates démontrent clairement qu'à l'issue d'un processus qui a duré 20 ans, la Province autonome de Trente est parvenue à exercer son autonomie.
En Vallée d'Aoste aussi, depuis 1975, l'exercice de l'autonomie a progressé, comme le démontre entre autres la L.R. n° 18/2005, mais il a toujours été tempéré par un certain nombre d'éléments qui sont le reflet de la législation nationale, notamment pour ce qui est de la gestion du personnel enseignant.
Cette marche de la Vallée d'Aoste vers une autonomie décisionnelle pleine et entière doit aujourd'hui s'orienter nettement vers une amélioration de la situation et, pour ce faire, tenter de trouver un équilibre entre innovation et changement, en surmontant cette opposition idéologique vers laquelle certains secteurs tentent d'attirer toute nouvelle proposition - et y parviennent d'ailleurs, depuis maintenant une trentaine d'années - contraignant ainsi notre législation à un immobilisme figé.
Il est bien évident que cette démarche n'implique pas tant des actions « polémiques » à l'égard de l'État centralisateur qu'une simple affirmation de notre capacité d'exploiter toute la marge de manœuvre que nous confère notre autonomie, compte tenu de notre réalité culturelle et des besoins du territoire : nous devons découvrir de nouvelles manières de résoudre les problèmes qui se posent, plutôt que nous contenter d'un conservatisme dépassé et de la reprise de modèles qui ont fait leur temps.
Le financement du système d'éducation repose sur la fiscalité locale, mais il ne s'agit pas simplement d'un retour au vieux principe de droit administratif selon lequel « c'est celui qui paie qui décide ». Il s'agit de faire véritablement nôtre le principe de la décentralisation, qui rend une communauté responsable de la formation de ses jeunes générations : et celle-ci doit pour ce faire créer un modèle d'école qui lui soit propre.

Laurent Viérin
Assesseur régional à l'éducation et à la culture

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