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Une dynamique bousculante

Au cours des années 70, dans tous les domaines de connaissance, Henri et Odette Bassis, figures marquantes du Groupe Français d’Éducation Nouvelle (GFEN), introduisent de nouvelles pratiques d’enseignement auprès de tous les écoliers sans oublier les plus faibles. Rappelons à ce propos le slogan du mouvement pédagogique GFEN : Tous capables !
Henri et Odette Bassis s’inspirent des travaux d’Henri Wallon et d’Aurélien Fabre. Ce dernier préconisait une pratique basée sur l’observation, dans laquelle une place centrale était donnée à la médiation du social : le point de départ consiste dans l’observation libre et individuelle de l’objet ; s’en suit la mise en commun et la confrontation avec les autres (c’est la médiation sociale), pour aboutir à la synthèse finale, dépassant ainsi les approches individuelles.

Une dynamique bousculante

En s’inscrivant à contre-courant de la simple transmission des savoirs, cette démarche vise à placer les élèves dans une situation-action à partir d’une situation-problème, une tâche précise étant à effectuer.
Chaque individu a un rôle actif et, à chaque fois, la production individuelle, analysée collectivement, génère un conflit socio-cognitif apte à faire émerger toutes les contradictions et favorisant, chez tous les apprenants, une réélaboration mentale propre à chacun. La démarche peut nécessiter une succession de plusieurs couples de situation-problème et situation-action, qui provoquent ce que l’on peut appeler une « dynamique bousculante ».
Avec Alain Dalongeville, nous avons introduit cette pratique dans la didactique de l’histoire et de la géographie.
Dans un premier temps, l’attention est portée sur les situations-problèmes visant à interroger les contenus et les faits, en traquant les pseudos évidences et les paradoxes, afin de remonter aux causes premières, parfois très complexes. Puis, il s’agit de faire émerger les représentations dominantes des apprenants, afin que les situations-problèmes choisies déclenchent chez eux une perturbation constructive. À chaque fois, des situations-actions sont introduites, en proposant des documents-clés et des modes d’expression adaptés pour la mise en commun, pouvant aboutir, par exemple, à l’élaboration d’affiches ou de jeux de rôle.

L’étape de la modélisation

La modélisation de ce type de pratiques, documentée par différents ouvrages, a permis la diffusion de notre démarche dans le monde francophone, de la Belgique au Canada en passant par le Maroc et l’Amérique latine. Au Val d’Aoste, cela a été possible grâce à des stages organisés par l’Administration régionale pour l’école primaire, au jeune Groupe Valdôtain d’Éducation Nouvelle et à Gérard De Vecchi qui a appliqué ce modèle en animant des cours de formation en didactique des sciences.
Après G. De Vecchi, je me suis moi-même occupé de stages destinés aux enseignants valdôtains. Ainsi, ce genre de pratiques, introduites dans un premier temps à l’école primaire, ont été diffusées ensuite à l’école moyenne. J’ai notamment participé à une recherche-action sur l’enseignement bilingue en histoire-géographie.
Ces initiatives, organisées au début par l’IRRE-VDA (coordonnées par Bruno Fracasso et Fulvia Dematteis), ont été renforcées lors de la création au Val d’Aoste d’un Groupe d’Éducation Nouvelle qui s’est fait le promoteur de plusieurs stages militants.
C’est au sein de ce mouvement qu’a mûri le livre, Situazioni problema in storia, auquel ont activement contribué les enseignantes Loredana Dalbard, Edith Favre, Josette Favre, Tiziana Money, Mariuccia Petey, Piera Reboulaz et Simera Trentaz.
Les stages de formation valdôtains ont permis la mise sur pied de situations concrètes, relatives aux démarches d’auto-socio-construction et ont favorisé la conceptualisation de l’outil. Les pratiques de classe ont fait naître une réflexion sur les contenus et les finalités de l’enseignement de l’histoire. Elles ont donné lieu à l’élaboration de leçons à expérimenter en classe et ont fait l’objet de différentes publications. Ces stages ont aussi prévu des temps forts d’observation de leçons suivies d’échanges approfondis, visant à pousser plus loin la théorisation de ces pratiques.

Enseigner l’histoire

Les cours d’histoire contribuent à l’affinement et à la complexification des représentations des élèves. Il faut tenir compte que les représentations de chacun combinent des images de faits, d’événements, de personnages, etc., ainsi qu’une image de soi dans un monde en mouvement.
Pour l’enseignant d’histoire, il n’est pas question de sortir du programme à enseigner ; il se doit d’organiser un milieu d’apprentissage en lien avec celui-ci.
Il peut proposer des tâches concrètes, à exécuter en petits groupes, sur des documents témoignant des événements sélectionnés, de façon à ce que l’activité s’organise autour de concepts allant de la singularité à l’universalité, de la complexité à la mise en relief, sans oublier que les événements sont toujours plus complexes qu’il n’y paraît. Il est pour cela nécessaire d’amener les élèves à identifier le plus de variables possibles qui permettront de faire comprendre les interrelations et de donner un sens à l’événement étudié. La singularité de chaque événement historique doit émerger et il faut éviter toute généralisation abusive.
De plus, il ne faut pas perdre de vue que la finalité de l’enseignement de l’histoire n’est pas de former des historiens mais plutôt des citoyens. C’est pourquoi, il peut être intéressant de dégager quelques lois plus générales, plus amples, susceptibles d’orienter l’action citoyenne de l’apprenant.
Prenons la citation de l’éminent historien René Rémond récemment disparu : « L’histoire est perception du changement tout autant que reconnaissance de la continuité ». Elle m’amène à proposer deux pôles fondamentaux sur lesquels repose l’activité du professeur d’histoire : celui du changement et celui de la continuité.
À partir de là, il est possible d’identifier six concepts organisateurs, en tension les uns par rapport aux autres, organisés selon trois binômes.
• Le premier se base sur les notions de changement et de continuité, typique du travail de l’historien, qui se situe en arrière plan par rapport à l’activité de l’enseignant d’histoire. L’enseignant l’a hérité de sa formation universitaire.
• Le deuxième, celui de la complexité et de la mise en relief. C’est celui de la transposition didactique. Comme le dit Alain Dalongeville : « Le choix des événements, de documents et leur mise en scène seront déterminés par la mise à jour des représentations des apprenants ». Le professeur choisit les événements à enseigner en évitant que ses élèves ne s’égarent dans leur complexité singulière. Il est amené à forcer le trait, à mettre en relief certains aspects des événements choisis afin que les élèves les retiennent par le fait qu’ils agissent sur les représentations initiales en les mettant en crise. Le dispositif de la situation-problème est alors très utile.
• Le troisième est celui de la singularité et de l’universalité, c’est celui de la construction citoyenne. Les instructions officielles incitent le formateur à dégager de l’histoire des lois plus générales susceptibles d’orienter l’action future du citoyen ; l’histoire contribue donc à l’éducation civique des élèves.

Transformer les représentations des élèves

Pour parvenir à la transformation des représentations des élèves, l’enseignant installera des régularités et introduira des perturbations, qui peuvent prendre la forme de situations-problèmes. Sa conduite oscillera entre approfondir les divergences entre les élèves (conflit socio-cognitif) et (co-)construire un consensus formalisé par une synthèse. Pour complexifier ces représentations, il aura recours à deux types de comparaisons : entre ici et ailleurs (extension spatiale) et entre autrefois et aujourd’hui (extension temporelle).

Transformer aussi les représentations des enseignants

Ce modèle diffère sensiblement des pratiques dominantes. Pourquoi un tel écart ? Pourquoi une telle approche est-elle si difficilement acceptée ?
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées ; tout d’abord, la prégnance de la formation universitaire : les contenus et les modèles de fonctionnement sont hérités des professeurs de faculté ; puis il manque une véritable formation professionnelle initiale et continue liée à la recherche en didactique. Il est donc nécessaire de faire évoluer les représentations des enseignants pour que celles des élèves évoluent à leur tour; c’est ce que nous avons essayé de faire au Val d’Aoste.

Michel Huber

 

Bibliographie
DALONGEVILLE A., HUBER M. (2001), (Se) former par les situations-problèmes. Des déstabilisations constructives, Chroniques sociales, Lyon.
DALONGEVILLE A., HUBER M. (2002), Enseigner l'histoire autrement. Devenir les héros des événements du passé, Chronique sociale, Lyon.
GVEN – Groupe Valdôtain d’Éducation Nouvelle (a cura di) (2007), Situazioni-problema in storia. Riflessioni e proposte didattiche, Armando, Roma.

 

 

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