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Nous sommes tous égocentriques
Partenariat : rester sur ses gardes

Les projets de partenariat contribuent à offrir aux classes la possibilité de s’ouvrir à l’extérieur et d’effectuer un parcours permettant aux élèves
de se confronter démocratiquement à d'autres personnes, d'autres savoirs, d'autres idées.

Il y a longtemps que les pédagogues réclament une école ouverte sur la vie. Toutes les pédagogies du projet ont fait tomber les murs de la classe. Pour que les enfants se confrontent à la communauté vivante, à l'environnement réel dans lesquels leur école est implantée. Dans les pédagogies du projet les plus radicales, il s'est toujours agi, dans ce type de décloisonnement, de permettre aux enfants d'intégrer, d'éprouver, d'exercer des savoirs construits dans l'école… tout en se confrontant à des savoirs encore manquants. Mais on s'est également préoccupé, dans le même temps, d'éduquer les élèves à vivre en société. En les faisant agir ensemble sur et dans leur environnement, plus ou moins proche.
Monter ainsi, par exemple, un spectacle pour la fête du village est un projet qui exerce les compétences citoyennes essentielles :
• les enfants doivent débattre de questions qui intéressent la société civile dans laquelle ils vivent. Ils exercent leur esprit critique, par exemple, pour savoir que choisir (ou créer) comme pièce de théâtre qui puisse être intéressante pour le public invité.
• Les enfants sont confrontés à des débats puisqu’il doit y avoir des décisions communes. Ces décisions touchant à la société civile, ils rencontrent des conflits de valeurs qui impliquent la réflexion, la recherche d'une action la plus juste pour tous. (Faut-il vraiment penser aux personnes âgées qui viendront voir le spectacle ? À partir de quel âge admettre les plus jeunes ? Notre pièce ne va-t-elle pas blesser un spectateur ? A-t-on le droit de plaisanter sur les religions ? ). Ces questions renvoient effectivement aux droits de l'homme. Les enfants apprennent ici que la démocratie ne se réduit pas à un simple vote, et comprennent petit à petit que l'élaboration des lois et des règles suit des procédures et un processus qui a pour but de respecter des valeurs et des principes, considérés comme fondamentaux et qui leur sont antérieurs et supérieurs.
• Les enfants n'ont certes pas le même statut que leur maître, mais sont bien ici, comme l'adulte, considérés comme des sujets de droit, ayant donc pouvoirs et obligations.


POUR UN PARTENARIAT CONSERVATEUR D'UNE FORMATION À LA DÉMOCRATIE

Dans les liens que les écoles sont appelées à tisser aujourd'hui à travers des partenariats de toutes sortes (travail avec un archéologue, une association de protection de la nature, un écrivain, une troupe de théâtre, un musée, etc.), cette optique d'éducation citoyenne n'est pas toujours présente. L'école court alors le risque d'être prise dans d'autres logiques, et d’être traitée par certains "partenaires" comme objet exclusivement commercial. Même les projets qualifiés de culturel ou social peuvent contenir ce piège. Les partenariats coûtent alors très cher à
l'institution, tout en servant parfois des buts fort éloignés des siens. L'archéologue, l'association de protection de la nature, l'écrivain, la troupe de théâtre, les employés du musée engagés, peuvent alors transformer l'école en vache à lait. C'est le cas notamment quand les partenaires sont payés par exemple “ pour faire cours ” aux enfants des écoles. Ils se métamorphosent alors le plus souvent
en piètres enseignants (ce n'est pas leur métier !).
Ils transforment alors leurs savoirs spécifiques, originaux (ceux qui sont attendus dans un partenariat de qualité), en un savoir à enseigner toujours plus pauvre, plus fade que leurs savoirs de spécialistes. Ce processus fait s'écrouler tous les apports du partenariat. Si tous deviennent enseignants, il n'y a plus de partenariat. Celui-ci n'est possible que si chaque partenaire conserve, plus que jamais, son identité propre, son métier, ses gestes, ses pratiques, sa pensée, son savoir. Le tout non scolarisé. La cohérence d'un partenariat n'est assurée que lorsque chacun agit de sa place, avec toute sa différence.


UN PROJET COMMUN… OUI MAIS POUR QUI ?

Un projet commun peut permettre aux enfants de se confronter, démocratiquement, à d'autres personnes, d'autres savoirs, d'autres idées. À condition qu'ils travaillent bien avec un archéologue, un poète, un conservateur de musée. En chair et en os certes ; mais aussi présent avec sa pratique et son regard propre sur le monde. Avec tout son projet personnel, le plus souvent non éducatif. Ce sont ces projets-là qui, justement, vont instruire et éduquer les enfants dans un partenariat efficient.
Comment alors choisir, gérer et réguler les projets à conduire entre école et autres partenaires tout en conservant l'optique d'une formation des enfants à un esprit démocratique ?
Pour répondre avec légèreté nous pourrions dire : la méfiance devrait être de rigueur dès que les projets en partenariat réclament un soutien financier important…
Pour parler plus sérieusement et en tant que pédagogue, nous proposons que les projets en partenariat, envisagés avec des écoles, puissent répondre à ce
critère : les différents partenaires engagés dans le
projet sont là pour mener une action susceptible d'être favorable à la société civile et, par conséquent, à
chacun d'eux.
Cette visée peut faire peur : où est passé le but de la formation scolaire ? Il disparaît en effet comme objectif commun des adultes. Mais cette disparition a
une fonction : mieux servir, grâce à cette absence,
la formation des écoliers.
Ce critère comporte aussi un certain réalisme. Il admet que si l'on veut que les partenaires s'engagent dans une action collective, ils doivent tous pouvoir gagner quelque chose par leur action dans le partenariat. La visée est enfin exigeante, car elle réclame à chacun de renoncer à tirer le projet en sa seule faveur. Si le projet doit être profitable à chacun, c'est bien que chacun ne peut en être l'unique bénéficiaire. Le pari pédagogique est bien qu'à travers cette expérience, les enfants apprennent que le renoncement personnel à leur toute-puissance est ce qui leur permet de ne point tomber sous la toute-puissance des autres. Pour les enfants - et de nombreux adultes - cette facette de l'apprentissage de la démocratie est la plus difficile à réaliser.
Nous sommes, dans cette représentation de l'apprentissage à la démocratie, loin de miser sur l'altruisme et la générosité pour construire un esprit démocratique. Mais n'est-ce pas le plus grand service que nous puissions rendre aux sociétés démocratiques, de nous débarrasser, en tant qu'éducateurs, de l'idée d'une démocratie basée sur ces deux qualités angéliques ? L'altruisme et la générosité n'ont jamais fondé une démocratie.


UN EXEMPLE DE PARTENARIAT POUR TESTER LA PROPOSITION

Prenons un exemple de projet réalisé en partenariat, avec des acteurs multiples, dont les caractéristiques peuvent répondre au critère de validité proposé
ci-dessus. L'exemple n'est pas fictif. Il s'agit d'un partenariat qui fonctionne depuis 20 ans dans le canton de Genève en Suisse.
Une équipe de cinq enseignants, leurs élèves et leurs parents décident d'implanter dans les abris anti-
atomiques de l'école (obligatoires en Suisse) une galerie d'art accueillant des artistes, de tous âges mais présentant leurs premières œuvres. La galerie est appelée La Primaire pour cette raison. Deux à trois artistes exposent leurs œuvres durant un mois, en étant présents durant tout le temps d'ouverture de l'exposition.
La galerie est ouverte tous les week-ends pour tout public (sauf durant les vacances scolaires) et en semaine, sur le temps scolaire et sur rendez-vous, aux enfants d'autres écoles. Deux vernissages ont lieu pour chaque exposition. Un est réservé exclusivement aux enfants de l'école. Un autre, le samedi matin, pour tout le monde. La galerie propose également des récitals de musique ou des rencontres poétiques.


DES TRAVAILLEURS AUX FONCTIONS DIVERSES

L'équipe des enseignants et les parents ont créé un comité responsable de la galerie qui s'occupe de la gestion des contrats et des finances.
Les maîtres négocient avec les artistes des rencontres avec les enfants durant les semaines d'exposition (ateliers, débats, entretiens, etc.).
Les parents choisissent les artistes, s'occupent de la publicité, des deux vernissages, assurent la garde de la galerie, l'accueil des visiteurs et le contact permanent avec les artistes. Ils organisent aussi les récitals de musique et les soirées littéraires réservées aux adultes.
Les enfants de toute l'école travaillent avec les artistes dans des ateliers spécifiques. Ils apprennent avec eux leurs gestes techniques, “ entrent dans leur tête ” lors de débats, pour mieux comprendre comment et pourquoi ils dessinent, peignent, sculptent, écrivent, composent de la musique. Ils les interviewent pour que le public les connaissent mieux (les articles sont affichés dans le cadre de l'exposition). Ils exposent leurs travaux, réalisés en lien avec la présence des artistes, dans les couloirs de l'école qui devient aussi une galerie ouverte aux visiteurs.
Les artistes exposent leurs œuvres (dessins, peintures, lithos, sculptures), récitent ou lisent leurs poèmes, jouent leurs créations musicales. Leur production (peintures, gravures, poèmes, livres, etc.) est en vente.
Les parents responsables de la galerie et des contacts s'occupent des tractations. Les artistes remettent 10 % de leurs gains à la galerie qui vit de cet apport. Ils rencontrent les élèves en tant qu'artistes.
Les autorités politiques mettent les sous-sols de l'école à disposition ; des représentants de la mairie assistent au vernissage.
Des journalistes - du plus grand quotidien genevois et du journal de la commune - couvrent les expositions.


TOUS GAGNANTS… MAIS D'APPORTS DIFFÉRENTS

Notre critère garantissant une école au service de
la formation à la démocratie est-il respecté dans ce partenariat ? Rappelons-le : les différents partenaires engagés dans le projet sont là pour mener une action susceptible d'être favorable à la société civile et, par conséquent, à chacun d'eux.
Nous pouvons répondre oui. Vérifions :
Le projet est bien favorable à la société civile : avec son petit bar à café, la galerie est devenue un des seuls lieux de rencontres (à part le four à pain créé dans le même esprit, dans la cour de la même école), où se croisent aujourd'hui toutes les générations d'un quartier qui a perdu ses petits commerces. Le projet favorise aussi la concertation entre les divers intervenants des milieux scolaire, culturel et municipal. Il valorise le domaine des arts et de la culture, qui demeure encore le parent pauvre dans nos démocraties. Il développe dans la jeunesse le goût et l'habitude de fréquenter des lieux culturels professionnels.
Le projet est bien favorable à chaque membre du partenariat : le projet fournit aux élèves de multiples occasions de vivre des expériences culturelles ayant une incidence sur leurs apprentissages. Il leur permet de développer des compétences visant l'ouverture et la curiosité, ainsi que leur sens critique et esthétique. Il favorise aussi directement l'éducation à la citoyenneté en tant qu'éducation au(x) droit(s), aux obli-
gations et au(x) pouvoir(s) des uns et des autres.
Les enfants ont, par exemple, négocié pour avoir leur vernissage propre, ils débattent des critères de choix de leurs propres œuvres, répondent aux obligations temporelles de chaque exposition, etc.
Les enseignants bénéficient de l'apport de professionnels pour atteindre les objectifs culturels des plans d'étude. Le projet facilite les relations avec les familles de leurs élèves, comme avec les autorités scolaires et municipales.
Les parents gagnent des contacts précieux avec les enseignants, les autres parents d'élèves, les artistes, parfois des journalistes et des visiteurs d'autres régions. Même la famille élargie profite de ces contacts : les grands-parents viennent souvent se joindre à la famille lors des jours de visite.
Les artistes bénéficient de locaux bien aménagés, d'un accueil et d' un encadrement chaleureux, d'une publicité de qualité, de nombreux visiteurs et du contact avec les autres artistes qui exposent en même temps qu'eux comme avec les autorités locales. Le tout pour un prix défiant toute concurrence (10 % de leur vente). Généralement, les œuvres se vendent très bien mais, si ce n'est pas le cas, l' artiste n'a aucun frais à payer. Ces conditions sont très favorables à une première exposition.
L'institution scolaire intègre des ressources professionnelles sans qu'il lui en coûte beaucoup : juste un peu de temps accordé à l'inspecteur pour qu'il puisse aller visiter les expositions. De plus, le projet soutient le rayonnement de l'établissement dans sa communauté. À l'heure où l'école est souvent objet de critiques, ce dernier point n'est pas à négliger.
Les autorités politiques voient dans ce partenariat l'heureux aménagement d'un nouvel espace public qui stimule l'échange et la solidarité entre citoyens.
Les journalistes n'ont pas besoin de rechercher l'information. Elle leur est fournie avec régularité et à travers tous les documents nécessaires.


POUR CONCLURE

Unir leurs forces pour mener un projet concret qui améliore la qualité de vie dans ce quartier, permet, d'année en année, à chaque partenaire de bénéficier, pour lui-même, du projet. L'école est mise au service de la société civile et la société civile au service de
l'École. Seule l'école peut garantir que le partenariat sert bien les apprentissages voulus pour les élèves. Comme seuls les autres partenaires peuvent, eux aussi, garantir que le projet collectif va servir leur propre projet.
Cette expérience réussie ne suggère-t-elle pas que l'erreur fondamentale serait de croire, lorsque l'école est impliquée dans un partenariat, qu'il faille faire de tous les partenaires impliqués des pédagogues ? La prudence est de mise. La question à travailler. Surtout en ces temps où l'idée est dans l'air de créer, pour gérer les partenariats avec l'école, des cellules pédagogiques impliquant tous les acteurs. Autrement dit, demandant à chacun de travailler en équipe, en tant qu'enseignant...

Étiennette Vellas
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation Université de Genève.

Bibliographie
AUDIGIER F. (1999). L'éducation à la citoyenneté. Paris-Lyon : INRP.
HUBER M. (1999). Apprendre en projet. Lyon : Chronique sociale.
PERRENOUD PH. (2003). L'école est-elle encore le creuset de la démocratie ?. Lyon : Chronique sociale.
ZAY. D. , GONNIN-BOLO. A. “ Établissements et partenariats, stratégies pour faire des projets communs ”. Actes du Colloque des 14, 15, 16 janvier 1995. Paris-Lyon : INRP.

 

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