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École - entreprise, une complémentarité nécessaire

Afin d’offrir une solide formation aux jeunes de l’Union européenne, la recherche d’une complémentarité est indispensable entre les deux institutions que sont l’École et l’Entreprise.


À l'initiative du Président de la République et du gouvernement, la France vient de consacrer un très large débat à l'avenir de son école. Celui-ci a rassemblé, de septembre 2003 à mars 2004, plus d'un million de participants dont une moitié d'enseignants. Il est tout à fait significatif de constater que le document général préparatoire au débat national s'ouvrait sur un premier chapitre consacré aux relations entre le système éducatif et l'emploi.
La question est en effet de première importance en France comme dans les autres pays membres de l'Union européenne. En dépit de la diversité des systèmes de formation et du manque d'harmonisation, un même constat s'impose partout : celui d'une fragilité de l'insertion professionnelle des jeunes sortant du système éducatif. Les symptômes sont connus et ont été largement analysés. Nous nous contenterons donc ici de rappeler les plus caractéristiques :
• si les jeunes sont partout en Europe plus qualifiés que leurs aînés, ils sont également plus exposés au chômage et, à niveau d'études égal, les difficultés d'insertion sur le marché du travail touchent davantage les filles que les garçons ;
• dans tous les pays de l'UE, on constate l'existence d'une transition délicate entre la sortie de l'école et l'obtention d'un emploi stable : les jeunes sont davantage concernés par les emplois précaires. En Italie, la proportion d'emplois temporaires par groupe d'âge est le triple (trois pour un) chez les jeunes de 15 - 24 ans, par rapport aux adultes ; en France, le déséquilibre est encore plus prononcé avec un rapport de quatre pour un ;
• dans toute l'Europe, les observations confirment que le diplôme facilite l'emploi, et qu'inversement les jeunes quittant l'école sans diplôme sont fortement pénalisés sur le marché du travail : ils sont non seulement les plus sensibles à l'évolution de la conjoncture économique, en ce qui concerne l'accès au premier emploi, mais leur situation demeure préoccupante longtemps après leur sortie du système éducatif.
On voudrait évidemment croire que ces difficultés ne relèvent que du conjoncturel. Malheureusement, il n'en est rien et les regards prospectifs ne sont guère rassurants. Il existe certes un réel consensus autour de l'idée que la qualité de la formation du capital humain est une condition déterminante de la croissance de nos économies et, comme depuis 1990 le nombre des jeunes Européens de 20-29 ans n'a cessé de diminuer, on devrait pouvoir compter à moyen terme sur une certaine embellie. Malheureusement, la complexité de la relation entre la formation et l'emploi est telle qu'elle incite à la plus grande prudence. Les variables à prendre en compte sont nombreuses et diverses : taux de croissance des économies ; évolution des flux de départs à la retraite, selon l'âge choisi ; comportements des entreprises dans leur arbitrage entre l'embauche de chômeurs, de femmes reprenant une activité ou de jeunes sortant du système éducatif ; conséquences sur l'emploi qualifié - prévisibles mais non quantifiables pour l'instant - des politiques de formation tout au long de la vie.
En France, quel que soit le scénario choisi en matière d'estimation des besoins en recrutement de jeunes, avec une prévision de 750 000 sortants du système éducatif par an (contre environ 560 000 sur la décennie 1990 - 2000), l'offre devrait rester inférieure à la demande, et on peut pronostiquer - sans grand risque de se tromper - une persistance des difficultés d'insertion, particulièrement pour les plus faibles.
C'est évidemment en prenant le plus grand compte de ce contexte qu'il convient de revisiter la problématique des relations École - Entreprise, dans la perspective d'une indispensable complémentarité de ces deux institutions dans la formation des jeunes.
L'histoire des relations école - entreprise reste pour l'essentiel à écrire et cet article n'a pas la prétention d'y contribuer. Il serait pourtant regrettable d'envisager la question, sans prendre la mesure du chemin parcouru en moins d'un quart de siècle. Dans la tradition française - et peut-être même latine - l'école et l'entreprise ont constitué pendant des décennies deux mondes parfaitement étanches qui au mieux s'ignoraient et au pire se heurtaient dans une confrontation de type idéologique totalement bloquée. Aux dénonciations par le patronat - souvent médiatisées - de l'inefficacité supposée de l'enseignement technique, répondaient en écho le credo d'enseignants pour qui la vocation de l'école était d'abord de protéger l'enfant de l'usine. Le récent débat sur l'avenir de l'école a confirmé ce que l'on pouvait déjà pressentir : en moins de trente ans, les représentations ont considérablement évolué et il y a bien aujourd'hui en France un large consensus sur la nécessité de contacts accrus entre l'entreprise et le monde scolaire. Mais cet accord de principe masque encore de véritables clivages quant à l'ampleur et aux limites qu'il convient de donner à ce rapprochement. Il y a d'un côté ceux pour qui “ les valeurs du monde du travail et celles de l'École, également estimables, doivent rester relativement étanches ” et de l'autre ceux qui appellent de leurs vœux une implication du monde du travail “ à tous les niveaux des dispositifs de formation ”.
C'est pourquoi la meilleure manière d'évaluer le chemin parcouru réside probablement dans l'observation des pratiques mises en œuvre.
S'agissant des rapports École - Entreprise, force est de constater l'importance que revêtent aujourd'hui les modalités de formation en alternance : en Région Rhône-Alpes, 75 000 stages de toutes natures sont effectués chaque année. Il s'agit d'autant d'occasions de relation avec l'entreprise, à condition toutefois - et nous y reviendrons - que soit établi un vrai travail partenarial autour et avec le jeune bénéficiaire de l'action.
Aujourd'hui en France, toutes les formations professionnelles initiales sanctionnées par un diplôme allant du certificat d'aptitude professionnel (CAP) au brevet de technicien supérieur (BTS) comportent obligatoirement une période de formation en entreprise. Cette alternance se pratique avec deux statuts nettement différenciés :
le statut scolaire pour lequel les lycéens effectuent des périodes en entreprise d'une durée de trois à dix-huit semaines selon les diplômes ;
le statut salarié pour lequel le jeune est en apprentissage dans l'entreprise et suit un enseignement dispensé par un Centre de Formation d'Apprentis (CFA) ou un lycée dans le cadre des Unités de Formation par Apprentissage (UFA).
Ces deux modes de formation ont longtemps été présentés en opposition : les enseignants ont montré beaucoup de réticences avant de s'engager dans la mise en œuvre de l'apprentissage, tandis que le patronat avait tendance à ne pas reconnaître l'intérêt de l'alternance sous statut scolaire. Aujourd'hui, les uns et les autres portent sur la réalité un regard beaucoup moins passionné qui autorise évidemment davantage de convergences.
L'apprentissage est reconnu favoriser les chances d'insertion professionnelle : sept apprentis sur dix ont un emploi sept mois après avoir quitté le CFA ou l'UFA (dont les deux tiers sur des emplois non aidés par l'État). Cependant, celles-ci, comme pour les formations sous statut scolaire, s'accroissent avec les niveaux du diplôme et de la formation : les apprentis faiblement diplômés ou pas diplômés (particulièrement ceux qui ont rompu leur contrat d'apprentissage) continuent de rencontrer des difficultés pour s'insérer, puisque moins de la moitié d'entre eux occupent un emploi non aidé.
C'est donc vers une approche plus globale, et non séparée, entre formation initiale “classique”, apprentissage, voire même formation continue (en intégrant également les dispositifs de validation d'acquis) que le système éducatif français est appelé à évoluer encore. Cette préoccupation explique probablement la multiplication des études et colloques sur l'alternance au cours des toutes dernières années. Quelle que soit la modalité de formation considérée (sous statut scolaire, sous contrat d'apprentissage ou dans un dispositif relevant de la formation continue), dès lors qu'il est question d'alternance, se présente le même défi pédagogique : il s'agit de dépasser la simple juxtaposition de deux périodes qui ont beaucoup de mal à se rencontrer et dans laquelle le stage s'apparente à un terrain d'application de savoir acquis à l'école et de mettre en œuvre un parcours de formation qui relève d'une co-construction associant le jeune, l'équipe pédagogique et l'entreprise représentée par son tuteur. Si l'on croit dans les vertus pédagogiques de l'alternance, alors il faut répéter sans cesse que construire des compétences ne revient pas seulement à rendre l'individu à l'aise dans un milieu donné, mais bien de lui permettre de construire des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être, qu'il pourra ensuite transférer dans d'autres lieux et environnements. Notre conviction, c'est qu'il existe bien de réelles marges de progrès sur cette question de la co-construction des savoirs et que tous nos efforts doivent aujourd'hui tendre à éclairer et à faire progresser ce que Bertrand Schwartz n'hésitait à caractériser comme une concertation polémique entre l'entreprise et l'organisme de formation.
Enfin nous ne saurions mettre un terme à cette évocation des pratiques d'alternance sans constater qu'elles ont tendance à s'adresser à des enfants de plus en plus jeunes. Le développement des dispositifs d'alternance au collège est devenu un objet de travail de première importance pour les responsables du système éducatif français. L'objectif est ambitieux : il s'agit, tout en conservant un solide socle de connaissances fondamentales, de permettre à des jeunes, dès la fin du collège, d'explorer des champs professionnels variés, d'accompagner la représentation qu'ils se font des métiers en leur donnant une image qui soit, à la fois, positive, valorisante et réaliste, et aussi, à travers la confrontation avec la réalité, de redonner du sens à l'investissement scolaire. Il n'est pas interdit de se demander si un tel objectif est tenable et, pour le moins, à quelles conditions il peut être mis en œuvre. En effet, le développement des dispositifs d'alternance en collège générera à coup sûr un développement inflationniste des demandes de stages. Certains responsables de branches professionnelles s'en inquiètent et pensent que les activités et partenariats avec les collèges pour les classes de troisième seront difficiles à mettre en œuvre et préconisent plutôt la mise en œuvre en partenariat avec les lycées professionnels et les CFA de périodes durant lesquelles il serait possible d'“approcher le geste professionnel”.
Il paraît en tout cas acquis que nous évoluons en France vers un principe de processus éducatif partagé : l'implication de tous les partenaires, y compris l'entreprise, doit être complète dans l'éducation des enfants. Les pédagogues ont certainement à intégrer de la progressivité dans les apprentissages et dans la relation avec l'entreprise. Mais les représentants du monde économique de leur côté ne sauraient ignorer qu'ils ont aussi la responsabilité de tout mettre en œuvre pour que la découverte du monde professionnel et des métiers soit de plus en plus accessible à l'ensemble des jeunes et de leurs familles.

Jean-François Arragain
Proviseur du Lycée de Rumilly (Haute-Savoie).
Président du Groupement d'établissements pour la formation continue (Greta) d'Annecy.

 

 

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