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Espace vécu et orientation

Un cheminement pédagogique destiné à affiner chez les élèves la perception de l’espace vécu pour leur permettre de mieux s’orienter. Un projet cohérent avec la programmation annuelle qui peut aisément sortir des murs de l'école et être présenté lors de manifestations publiques telles que la Journée de la Francophonie…

À l'occasion des Journées Internationales de la Francophonie, en cette année dédiée à la montagne, l'Administration régionale et l'Alliance française de la Vallée d'Aoste ont organisé, pour le 20 mars 2002, une journée sur la neige à Flassin (Étroubles) et Crévacol (Saint-Rhémy-en-Bosses), dans les communes du Grand-Saint-Bernard. Madame Wilma Tonetta du Bureau d’éducation bilingue a coordonné les différentes activités de la journée.
La participation était ouverte à tous les élèves de la Vallée d'Aoste, à partir des écoles maternelles jusqu'aux lycées.
Des activités variées étaient prévues selon l'âge des participants: des jeux sur la neige pour les plus petits, de la luge, du ski de fond et de descente le matin, et des spectacles avec la compagnie théâtrale Groupe Approches, des expositions, des visites guidées et des ateliers l'après-midi.

A un carrefour, le long du chemin muletier nous avons rencontré le bel oratoire de Grun (Photo: F. Piccoli)

Comme le programme de la journée se présentait fort intéressant, les conseils des classes de 3A et de 3B de l'École Moyenne E. Page de Saint-Vincent ont décidé de donner leur adhésion, après avoir consulté les élèves qui ont été immédiatement enthousiastes.
Pour ceux qui le souhaitaient, il y avait, en plus des activités sportives et des visites guidées, la possibilité de présenter, dans des ateliers, des travaux préparés par les élèves et développant au choix un des sujets proposés par les organisateurs : le grand herbier de la montagne ; les sons de la montagne, la montagne à l’écoute ; l’habitat (village, alpage) ; les contes et légendes. Ces thèmes, tous liés à la montagne, étaient strictement en rapport avec les activités de connaissance du territoire auxquelles nous avons consacré nos projets de bilinguisme au cours des trois années d'école moyenne.
Parmi l'éventail proposé, nous avons décidé d'aborder l'étude des villages de montagne. Sans aller trop loin, nous avons choisi de nous occuper des villages de la colline de Saint-Vincent.
Cette activité nous permettait, en effet, de conclure l'étude du territoire de la commune déjà planifiée à partir de la classe de première.

L’espace vécu

Au début de l'année scolaire 1999-2000, avec les nouvelles classes de première année, les trois enseignants concernés par le projet de bilinguisme (italien, histoire et géographie; français; sciences naturelles) ont décidé de démarrer par une activité de connaissance de soi et du territoire.
Nous avons d'abord commencé par des activités liées à la connaissance de soi dans le but d'arriver, par étapes successives, aux activités d'orientation scolaire qui sont généralement prévues la troisième année. Il était important de faire prendre conscience aux élèves qu'il est opportun de se connaître soi-même avant de passer à la connaissance du milieu de vie environnant pour mieux s’y situer.
Au cours des deux heures hebdomadaires consacrées à cette activité spécifique, les deux classes ont travaillé ensemble, portes ouvertes, pendant toute la durée du projet (les trois ans d’école moyenne).
La première année, les élèves ont appris à connaître la commune de Saint-Vincent à partir de points d’observation privilégiés. Après un travail préalable à l'école, les classes ont effectué deux sorties à pied sur le terrain.
Nous avons fait le choix de la promenade à pied, sans moyen de locomotion, car nous avons pensé que c’est là une façon irremplaçable pour appréhender l’espace, pour en évaluer les dimensions, aussi bien les distances que les surfaces, mais également pour en percevoir concrètement les aspérités à travers l’effort que demande la marche…surtout pour des élèves qui se rendent régulièrement à l'école en voiture ou en bus.
La première promenade s’est déroulée à "l'envers", c’est-à-dire sur le versant de la vallée situé à l’ubac, et donc exposé à l’ombre. Nous sommes allés au château d'Ussel en empruntant le sentier qui traverse la Doire-Baltée par le fameux pont des Chèvres.
De là, en regardant vers le nord-est, nous avons pu aisément apercevoir l’agglomération principale de Saint-Vincent, le "Bourg" et, sur le versant à l’adret, que l’on appelle ici la "Colline", apercevoir plusieurs hameaux, en mesurant d’un seul coup d’œil l’étendue de son territoire et en embrassant du regard une partie de notre Communauté de montagne. La deuxième sortie, toujours à pied, le long de l’ancien canal d'irrigation appelé Ru de la Plaine, nous a amenés à l'adret, sur le versant de la commune de Châtillon exposé au soleil, d’où nous avons pu aussi effectuer les observations à partir d’un belvédère localisé au-dessus du hameau de La Tour.

Une halte au hameau de Amay

Pour cela, nous avons choisi de nous laisser guider par une experte, Palmira Orsières, guide de la nature, de la Cooperativa la Traccia. En classe, pour nous préparer, elle avait projeté des diapositives de paysages afin de nous montrer la diversité des aspects de la nature des environs de Saint-Vincent.
Par la suite, au cours des deux derniers mois de l'année, nous nous sommes penchés sur l'étude de la partie de Saint-Vincent la plus densément peuplée, le Bourg, dans le but de connaître et de mieux comprendre son rôle, lié depuis toujours au passage, au commerce et depuis moins longtemps au tourisme.
Le travail de toute l’année a fait l’objet d’un dossier.

Changement d’échelle

En deuxième année (2000-2001), au cours de l’automne, un phénomène inattendu, la calamité naturelle du 15 octobre 2000, nous a amenés à revoir notre programmation.
Tout en poursuivant le travail sur la connaissance de soi avec les élèves, nous avons adapté l’étude du territoire à la douloureuse actualité du moment. Nous ne nous sommes plus limités au seul espace de notre commune et de notre Communauté de montagne, mais nous sommes passés à une échelle plus large, directement liée aux conséquences de la catastrophe sur les villages et les vallées les plus endommagés de notre région.
Avec l’intervention en classe de l'experte de la Cooperativa la Traccia qui nous a projeté et commenté de nouveaux clichés d’actualité, nous avons préparé les deux sorties du printemps, la première dans la vallée de Cogne et la deuxième dans celle de Gressoney, pour constater directement les dégâts que la presse et les médias avaient amplement présentés lors du tragique événement.

A Moron, sur le linteau de la porte gauche, une date : 1648.
(Photo de l'auteur)

Transformations de l’espace dans le temps

Au cours de cette troisième et dernière année (2001-2002), avec les mêmes élèves, nous avons complété le travail relatif à notre projet en nous penchant plus particulièrement sur l’étude du versant montagnard de Saint-Vincent, la fameuse "Colline", pour en percevoir notamment l’évolution au cours des siècles.
En introduction, nous avons vérifié les connaissances acquises sur le Bourg en classe de première. Ensuite, nous avons levé les yeux vers la montagne dans le but de nous familiariser et d’approfondir la connaissance des villages qui, contrairement au Bourg, vivaient autrefois essentiellement d'agriculture et d'élevage.
Cela tombait bien car non seulement 2002 avait été déclarée Année Internationale de la Montagne par l'Unesco, mais le 20 mars on célébrait aussi la Journée Internationale de la Francophonie dans la vallée du Grand-Saint-Bernard. Cette occasion nous a permis de présenter notre travail. En outre, au mois de mai 2002, Saint-Vincent accueillait la quarantième édition du Concours Cerlogne qui se déplace, d’une année à l’autre, dans les communes de la Vallée d’Aoste. Et là encore nous avons été à l'aise car nos recherches nous avaient mis en contact avec le monde patoisant et ses termes liés au territoire.
Pendant les deux premières années, nous avons insisté sur la perception de l’espace et de la nature du milieu de vie de nos élèves, sur la localisation des différents éléments du paysage, sur les caractéristiques des espaces urbanisés et ruraux pour faire prendre conscience aux élèves qu'ils habitent, eux-mêmes, dans cet environnement.
Pendant cette troisième année, nous avons décidé de ne plus nous pencher exclusivement sur des notions d'espace, mais de préférence sur des notions de temps et d’évolution de l’espace au cours des siècles. Il s’agissait de rester dans la dimension locale, c’est-à-dire au plus près du cadre de vie de nos adolescents. En outre, cela permettait à une partie de nos jeunes de mieux connaître leurs racines.
Le nouvel objectif était donc celui de découvrir la vie d'autrefois dans nos hameaux à travers l'observation de l'architecture et de l'aménagement du territoire.
L’ouvrage Espace, temps et culture en Vallée d'Aoste (IRRSAE Vallée d'Aoste, 1996) a été un précieux instrument de travail pour faire acquérir aux élèves un certain nombre de concepts fondamentaux sur notre région, en particulier les chapitres "La vie rurale et pastorale", "Architecture rurale en vallée d'Aoste" et "Culture valdôtaine".
Mais nous avons, tout de même, retenu indispensable l'apport d'un expert. L'architecte Claudine Remacle nous a semblé la personne la mieux préparée pour intervenir. Dans un premier temps, en classe, elle nous a projeté des diapositives de paysages valdôtains. Elle les a commentées en mettant en évidence les constructions humaines ainsi que les caractéristiques architecturales des villages et des maisons.
Ensuite, sur le terrain, elle nous a fait visiter les hameaux de notre commune pour y découvrir les aménagements traditionnels (terrassements, rus, clôtures etc.) et pour nous illustrer la vie paysanne en prenant comme base d’interprétation l'intervention de l'homme sur le paysage.

En conclusion

Les élèves ont beaucoup apprécié cette activité ; certains se sont rendu compte qu’ils connaissaient peu leur environnement. Tous ont manifesté un vif intérêt pendant les sorties au cours desquelles ils ont découvert, près de chez eux, une multitude de coins qu’ils ne connaissaient pas.
En cette dernière année, ils ont pu apprendre à reconnaître l’architecture des maisons traditionnelles et les apprécier à leur juste valeur grâce aux passionnantes explications de l’architecte.
Ils ont admiré de belles fresques et des cadrans solaires sur les façades. Ils se sont arrêtés devant les anciennes chapelles et devant de beaux rascards, certains en ruine, mais d'autres en bon état et même habités. Ils ont découvert les oratoires, les écoles de hameaux, les fours à pain, les moulins… Tous ont pu affiner leur capacité d'observation. Quelques élèves se sont même improvisés photographes. Ils ont pu boire aux fontaines, rencontrer des gens dans les hameaux visités, recueillir des témoignages… bref, comprendre une réalité de vie à la fois si proche et si lointaine de la leur.
Quant à nous, enseignants, nous avons voulu essayer de montrer qu’approfondir l'étude d'un paysage, apparemment familier, mais en réalité peu connu, contribue à faire découvrir à l’élève sa place et à lui donner des repères dans la société à laquelle il appartient.

Anna Laurent
Professeur de français à l'école moyenne de Saint-Vincent. Coordinatrice du projet bilingue

La parole aux élèves des classes de 3A et de 3B
Voilà ce que nous avons appris en janvier, février et mars 2002, lors de notre projet :"Connaissance du territoire. La montagne aménagée ; les villages de Saint-Vincent", dont l'objectif était de connaître la vie d’autrefois dans nos hameaux par l’observation de leur architecture et du paysage.
Ensemble nous avons réuni ce qui nous a semblé important de retenir.
"D’abord, l’architecte nous a dit que nous devons apprendre à regarder autour de nous pour lire les témoignages du passé, pour comprendre la vie d’autrefois.
En observant les habitations, la position des villages, des vignes, des prés, des champs, des rus, nous sommes remontés à la façon de vivre des gens qui ont peuplé la colline et la montagne."
Les maisons étaient bâties les unes contre les autres pour éviter d’occuper les terrains cultivables, car de la terre devait être tiré tout ce qui était nécessaire à la nourriture.
L’observation de l’architecture d’une maison nous a permis de comprendre comment était structuré un foyer, de découvrir non seulement la façon de vivre du paysan d’autrefois, à côté du bétail, mais aussi son savoir-faire pour conserver les produits et pour survivre, grâce à ce qu’il avait récolté. Nous avons ainsi découvert la fonction de la cave, celle des séchoirs, celle des rascards. Certains d’entre nous l’ignoraient complètement.
Pour nous aujourd’hui, il serait inconcevable de vivre comme les générations qui nous ont précédés, sans eau, sans chauffage, sans réfrigérateur, dans des hameaux isolés où la voiture n’arrive pas.
Autrefois, l’homme devait être parfaitement et rationnellement autonome pour résister et se nourrir même pendant de longues périodes non productives. L’eau était une ressource indispensable pour faire pousser le fourrage nécessaire aux animaux et pour cultiver les légumes et les fruits pour les gens. Hommes et bêtes pouvaient ainsi survivre, même pendant les longs hivers durant lesquels ils étaient pratiquement isolés.
Nous avons compris que la vie des populations qui habitaient autrefois ces hameaux était dure. Il fallait beaucoup travailler pour se procurer la nourriture. Mais les gens s’entraidaient énormément et ils passaient ensemble de bons moments de vie collective et d’agréables veillées.
Nous avons appris que dans les hameaux de Saint-Vincent la vie a changé au cours des siècles. Une évolution remarquable a eu lieu à la fin du XIVe siècle (de 1390 à 1400), quand a été tracé et creusé le Ru Courtaud qui a permis d’arroser, et donc de rendre fertiles des terrains très secs de la colline. Avant la construction du ru, les seules cultures possibles étaient en effet les céréales car elles demandaient peu d’eau. Grâce à la construction des terrasses, ces cultures, l’hiver, étaient protégées du gel par les couches de neige et elles profitaient au maximum de l’eau de pluie au printemps.
Au cours de nos sorties, l’autobus nous a conduits en haut, puis nous avons continué à pied par les anciens chemins muletiers. Nous avons visité Moron et Grun, encore habités toute l’année grâce à leur position favorable à l’adret, facilement accessibles par la route qui mène au col de Joux.
Ensuite, toujours en montant vers le col, nous avons vu les hameaux de Salirod, de Petit-Rhun, de Grand-Rhun et d’Amay dans lesquels plusieurs maisons ont été restaurées récemment grâce au passage de la route carrossable.
À Amay, d’où l’on jouit d’un magnifique panorama sur toute la vallée centrale et d’où l’on aperçoit même le Mont-Blanc, nous nous sommes arrêtés à l’ancienne école et nous avons vu le chemin que les enfants empruntaient chaque jour à pied pour s’y rendre.
Nous sommes allés aussi à Lerinon, un beau village, situé sur une terrasse au milieu des prés. Il s’agit là d’un exemple de hameau bien entretenu. Toujours à pied, nous sommes descendus à Crêtamiana, abandonné au milieu d’une clairière où les broussailles sont en train de coloniser les terres autrefois cultivées. Ensuite, nous nous sommes arrêtés à Valmignana pour admirer ses belles maisons et ses magnifiques rascards parfaitement conservés.
Notre descente s’est poursuivie en piétinant les feuilles de châtaigniers jusqu’à Moron et de là nous avons continué jusqu’au Bourg."

 

Les impressions de l’expert

Ce fut une chance pour une architecte et docteur en géographie, spécialisée dans l’étude de l’aménagement de la montagne, d’expliquer, de façon pluridisciplinaire, le paysage à de jeunes étudiants.
Les activités des deux années précédentes les avaient déjà préparés à regarder autour d'eux.
Saint-Vincent est une commune particulièrement riche du point de vue géographique et sa position, au sein de notre petite Vallée d’Aoste, en fait un sujet de prédilection, facile à observer.
Les deux classes ont manifesté un intérêt soutenu lors des projections et des promenades. Les élèves ont gardé leur calme pendant les explications et ont participé activement à des échanges de point de vue. Ils ont fait une longue marche par monts et par vaux sans se plaindre.
Je leur ai proposé d’ouvrir les yeux et de "lire" dans le paysage qui les entourent des signes : ceux que la nature a forgés et ceux que l’homme y a tracés pour vivre, pour cultiver, pour s’abriter, pour se déplacer. C’est donc une montagne en évolution depuis des siècles que nous avons observée ensemble.

Claudine Remacle
architecte, docteur en géographie.

 

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