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Apprendre en séquences

Enfin, après quatre ans d'expérimentation, cinq séquences didactiques pour l'enseignement / apprentissage des langues italienne et française sortent de presse et sont à disposition des enseignants. Voulez-vous nous raconter le parcours que vous avez suivi pendant ces années et quelle est la raison qui vous a poussé à concevoir les séquences?

Ces dernières années ont été consacrées à l'élaboration des séquences didactiques pour les degrés 1 à 5. Celles de 1ère sont sorties ; actuellement, nous terminons, améliorons, peaufinons les séquences pour la classe de deuxième. C'est bien entendu un gros travail, mais indispensable. Sans activités sur les textes, des activités que les enseignants peuvent proposer à leurs élèves, prêtes à l'emploi, l'enseignement-apprentissage des langues prend un temps énorme, est fastidieux et peu efficace. Parler une langue, c'est savoir produire et comprendre des textes et non des phrases ou des mots. Voilà ce qui a motivé le travail de toute l' équipe des CDL1 : le désir de produire des moyens d'enseignement en adéquation avec les objectifs visés.

Vous vous proposiez un but assez ambitieux : celui de préparer les élèves à maîtriser leur(s) langue(s) dans les situations les plus diverses de la vie quotidienne en leur donnant des outils précis. Etes-vous satisfait de ce résultat ?
Le résultat dépasse nos espérances. Bien sûr, il faudrait, il faudra mettre en place une activité qui permette d'avoir une idée plus précise sur le sujet. Mais l'impression est excellente : dans les classes qui ont travaillé ou qui travaillent avec le matériel élaboré par les CDL, les résultats sont très positifs.
Les séquences didactiques sur lesquelles nous travaillons est un matériel d'enseignement-apprentissage très exigeant.
Vous avez raison d' utiliser à ce propos le mot d'"outils". Il s'agit bien d'"outils", au sens vygotskien du terme, des outils conceptuels, bien entendu, et non matériels, des outils qui modifient l'activité psychologique, des outils sociaux, destinés au contrôle du comportement propre ou de celui des autres.
Ils sont en même temps des outils de communication. L'enseignant n'est pas toujours conscient de la vraie nature des séquences didactiques qui lui sont ou seront proposées.

Ce matériel, nous semble-t-il, se propose de faciliter l'apprentissage effectué par l'élève et veut favoriser le travail de l'enseignant. L'apprentissage est quelque chose de complexe. C'est pour cette raison que vous avez cherché à trouver un moyen pour le faciliter ?
Oui, l'apprentissage est quelque chose de complexe ; on ne peut pas y plonger les élèves sans en connaître au moins les principaux aspects.
Un de ces aspects, c'est précisément le matériel d'enseignement-apprentissage, envisagé comme un outil de pensée, s'appliquant à l'activité psychologique, individuelle et interindividuelle. Le matériel élaboré par les CDL n'est donc pas seulement une aide à l'apprentissage ou une béquille pour l'enseignant : il est partie intrinsèque de l'apprentissage, il représente ce que l'apprenti, l'élève doit s'approprier. Ce n'est pas une suite de fiches qu'on fait remplir puis qu'on corrige. C'est un outil : il faut le connaître pour l'utiliser en même temps qu'il faut l'utiliser pour le connaître.

Quelle est la conception de l'apprentissage scolaire à laquelle vous faites appel ? Peut-être celle qui met l'accent sur l'interaction entre le sujet et le milieu, la conception issue des travaux de Vygotsky ?
En effet, la conception de l'apprentissage à laquelle nous nous référons est bien l'interactionnisme social de Vygotsky.
Il est impossible, ici, de dire plus que quelques généralités à ce sujet. Disons d'abord en quoi cette conception est différente de celle que nous avons "naturellement" .
On se représente habituellement le développement de l'enfant comme quelque chose de linéaire. Chaque enfant passe par des stades de développement successifs, chaque stade correspondant à un état d'équilibre auquel sont associées des capacités d'actions et de raisonnements : à tel stade, l'enfant fait ceci ou cela, peut faire ceci ou cela, ne peut pas faire ceci ou cela.
Selon ce schéma, les apprentissages dépendent du niveau de développement de l'enfant : tel apprentissage n'est possible que si l'enfant a atteint tel niveau de développement ; tout nouveau savoir, tout nouveau savoir-faire est dépendant de l'état de développement de l'apprenant.
On reconnaît ici une conception de l'apprentissage inspirée des travaux de Piaget : elle a nourri l'esprit de nombreux pédagogues, est à l'origine de plusieurs réalisation telles que l'Ecole Active et a dicté plus d'un plan d'études.
Il faut ajouter, pour être un tout petit peu moins incomplet, que le développement de l'enfant, toujours selon cette conception, est envisagé comme le résultat d'interactions entre cet enfant et son environnement physique. Le développement suit son cours, stade après stade, quelles que soient les caractéristiques socioculturelles du milieu, quelles que soient les interventions humaines, celles réalisées dans le cadre scolaire notamment.
En d'autres termes, les facteurs qui expliquent le développement de l'enfant sont d'ordre biologique. On naît avec un équipement qui génère les différents stades.
On associe à une telle théorie les termes d'innéisme (on naît avec...), de constructivisme (ça se construit...), d'interactionnisme (interaction entre le sujet et l'environnement), mais un interactionnisme que Bronckart appelle " logique ", l'environnement étant défini en termes physiques.
Pour Vygotsky, l'apprentissage n'est pas une conséquence du développement, il en est au contraire une condition.
Autrement dit, le développement suit l'apprentissage, le développement est activé par l'apprentissage. Le développement n'est pas indépendant de l'apprentissage, il ne se réalise pas " naturellement " ; l'apprentissage est nécessaire.
C'est là une position qui va à l'encontre des représentations communes qui envisagent l'apprentissage comme dépendant de l'état de développement de l'individu.
Quant aux apprentissages - condition du développement de l'enfant - il faut les concevoir comme organisés par un ensemble d' interactions scolaires : interactions enfant-adulte, enfant-camarade ; en milieu scolaire : interactions élève-maître, élève-élève.
Selon cette conception, les interventions humaines, celles réalisées dans le cadre de l'école en particulier, sont essentielles.
Les apprentissages sont des activités réalisées à plusieurs ; l'apprenant tire profit de ce que lui apportent les autres, il avance dans ses apprentissages grâce à l'apport des autres.
Ces tâches, que l'enfant ne peut réaliser dans un premier temps qu'avec l'aide d'autrui, il pourra progressivement les réaliser seul. " L'apprentissage donne naissance chez l'enfant à des processus de développement internes qui, à un moment donné, ne lui sont accessibles que dans le cadre de la communication avec l'adulte et de la collaboration avec les camarades, mais qui, une fois intériorisés, deviendront une conquête propre de l' enfant " .
Dit plus simplement : à un moment donné, l'enfant peut réaliser certaines tâches uniquement s'il peut s'appuyer sur l'adulte et/ou sur les camarades ; plus tard, il pourra réaliser les mêmes tâches, seul.
Les partenaires sociaux - adulte, maître, camarade - constituent une ressource sur laquelle l'apprenant peut prendre appui momentanément pour résoudre une tâche avant de pouvoir l' effectuer lui-même, seul.
Ces quelques lignes nous conduisent au concept de " zone de proche développement ", concept vygotskien qu'on peut définir comme " la différence entre le niveau de résolution de problèmes sous la direction et avec l' aide d'adulte (ou d'enfants plus avancés) et le niveau de résolution de problèmes atteint seul " .
C'est un espace de développement. Un élève peut ne pas être capable de réaliser une tâche ou un apprentissage spécifique en mobilisant ses seules capacités psychologiques propres (témoins de son état actuel de développement), mais il peut y parvenir lorsque la collaboration avec l'enseignant ou certains camarades plus avancés lui apporte de nouveaux contenus, de nouveaux outils psychologiques, l'oriente vers de nouvelles procédures.
C'est cet espace de développement compris entre le niveau atteint par l'enfant seul et le niveau atteint par l'enfant avec l'aide d'autrui que Vygotsky appelle la zone de proche développement.
Voilà en deux mots à quelle conception de l'apprentissage renvoient les séquences didactiques valdôtaines. Elles ne sont pas conçues pour être réalisées par les enfants seuls; l'aide est indispensable, pour les raisons énoncées ci-dessus.

Les cinq séquences que vous venez d'achever sont le résultat d'un travail d'équipe.
Vos collaborateurs sont Piero Floris, Mara Joly et Elena Praz. Quelle a été la méthode de travail que vous vous êtes donnée ?

Partagez-vous chaque moment précédant la mise en page des séquences à construire ?
Piero Floris a été la cheville ouvrière de toute l'équipe. Sans lui, rien n'aurait vu le jour. L'équipe comprend aujourd'hui Elena Praz et Mara Joly mais elle comprenait, il y a quelques mois encore, Manola Peraldo Prun, Marilena Belotti, Clara Bosonetto et Fulvia Dematteis.
Certaines séquences sur lesquelles nous travaillons aujourd'hui ont été réalisées par Manola, ou Marilena ou Clara. Et toutes ces personnes se rencontrent encore lors de réunions de travail, avec Anna Tutel et les CD de sciences et d'histoire, Anna Bus et Antonella Dallou.
Puisqu'on parle de personnes, il convient de citer Daniel Coste, avec qui j'ai commencé mon activité au Val d'Aoste ; Joaquim Dolz, qui a participé à la formation des enseignants de certaines circonscriptions, les gens de COROME (Commission romande des moyens d'enseignement) dont Bernard Schneuwly, qui nous ont été très utiles pour l'élaboration des séquences et surtout Jean-Paul Bronckart, professeur à l'université de Genève, dont les travaux en psychologie du langage constituent la plate-forme sur laquelle tout a été conçu.
En ce qui concerne la méthode de travail, elle est très simple. Nos réunions nous permettent de discuter du travail élaboré par les CDL : préciser le contenu des séquences, affiner un problème théorique - de langue ou d'apprentissage - réfléchir à des problèmes de mise en pratique ou à des activités d' évaluation.
Quant à la mise en page des séquences, c'est le travail exclusif de Mara Joly et Elena Praz.

La conception graphique et les illustrations des séquences ont un aspect agréable et original.
Elles présentent la fraîcheur et la gaieté du monde enfantin en nous rappelant que l'esthétique a son importance dans l' éducation. Partagez-vous cette réflexion ?

Vous avez raison de le souligner. C'est un travail remarquable dont il faut féliciter les deux illustratrices, Samantha Enria et Christine Valeton.
L'esthétique joue un rôle important dans la formation du jeune élève. On aurait tort de l'ignorer. Il faut espérer que les enseignants sauront le faire remarquer à leurs élèves. Et pas seulement remarquer la beauté des illustrations, mais aussi leurs qualités didactiques. Ces illustrations constituent une aide à l'apprentissage, c'est un apport important, qu'il s'agit d'exploiter.
Deux mots pour terminer. Le Val d' Aoste peut être fier du travail réalisé et à venir, exécuté par des gens de la Vallée, ce qui est, je crois, une première. C'est une réussite. C'est aussi un point de départ vers d'autres réalisations. On peut se montrer optimiste.

Envisagez-vous déjà la parution d'une nouvelle série de séquences ? Si oui, lesquelles ? Et pour quelles raisons ?
Nous sommes maintenant en train de travailler sur la classe de deuxième. Comme pour la première, il est prévu cinq séquences didactiques assumant chacune une action langagière différente : argumenter, s'approprier du savoir, régler des comportements, décrire et jouer avec la langue.
Le projet prévoit aussi la réalisation de cinq séquences pour les autres classes de l'école élémentaire à partir des différentes actions langagières.
A ce propos nous avons envisagé le plan de travail qui suit le principe de la progression en spirale selon lequel la même action langagière est reprise plusieurs fois au cours de l'école élémentaire en vue de l'approfondissement et de la complexification des apprentissages.
Le schéma ci-dessous présente le plan de travail qui résume tous les parcours que les élèves de l'école élémentaire pourront avoir à disposition.
Evidemment, ce plan est sujet à des changements dus à des causes de différentes natures, notamment la réforme en cours dans l' école.

Interview réalisée par l'équipe pédagogique à Auguste Pasquier
Responsable du service des Langues-Français-de l'enseignement primaire à Genève

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