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Enseignement bilingue : cadre et perspectives

Le point dans la recherche autour du bilinguisme. Nous nous trouverions dans la 3ème période : celle des effets positifs. Il y a encore d'intenses réflexions à faire et de passionnants projets à mettre en place, mais les faits nous m'èlent que la voie suivie au Val d'Aoste semble être la bonne.

Les avantages du bilinguisme

D'après Baker (1988), on serait passé au cours de ce siècle par trois phases successives dans la recherche autour du bilinguisme: la période des effets négatifs, la période des effets neutres et la période des effets positifs. Nous nous trouverions, depuis quelques décennies, dans la troisième période. Autrement dit, la plupart des recherches récentes considèrent le bilinguisme comme un avantage pour le développement de l'enfant et non plus comme un danger (cf. par exemple Ludi, 1998), même si de telles représentations ne sont pas encore complètement bannies de la pensée courante. Dans un important ouvrage sur le développement de la compétence en 12, (Harley et al.,1990) on dresse un historique et un bilan des avantages du bilinguisme en rapport avec le développement de la compétence linguistique et cognitive. D'après des recherches menées dans différentes parties du monde (Afrique du Sud, Canada occidental et Montréal, Inde, Israël, Singapour, Suisse, USA) à partir des années 60, il a été démontré que les enfants bilingues développent une structure mentale diversifiée, une plus grande flexibilité de la pensée, ils montrent plus de créativité et sont habiles dans la résolution de problèmes, autant de facteurs cognitifs qui déterminent et favorisent le développement des compétences linguistiques notamment. De plus, ces enfants produisent de meilleurs résultats que leurs camarades monolingues dans l'utilisation de la première langue.
L'intériorisation de deux langues amène l'enfant bilingue à développer un mécanisme permettant l'alternance entre deux systèmes de règles dans la manipulation des symboles. Ce mécanisme renforce les aptitudes métalinguistiques (la réflexion et le contrôle sur le discours), importantes dans la gestion du discours et de l'apprentissage.
Tous ces résultats s'opposent nettement aux résultats négatifs, issus de recherches des années 50, qui associaient au bilinguisme toutes sortes de déficits. En fait, ces premières recherches négligeaient, entre autres, de comparer les bilingues et les monolingues par rapport à leur environnement social (enfants issus d'une minorité migrante, par exemple), ou par rapport à la reconnaissance sociale attachée aux langues en question (langues minoritaires, patois ou dialectes, etc.). L'enseignement bilingue est d'abord né d'une problématique sociopolitique, comme réponse didactique à des conflits sociaux. Sa mise en place devait favoriser un certain rééquilibrage des forces sociales, notamment dans les pays plurilingues. Mais le débat a été et reste vif, car les modèles proposés sont nombreux et les enjeux sociopédagogiques importants.

L'enseignement bilingue et ses questions

Toute nouvelle initiative ou expérimentation en enseignement bilingue ne manque pas d'affronter des questions de fond, parmi lesquelles les quatre suivantes :
- la question de la L1 : la langue première continuera-t-elle à se développer normalement malgré une importante scolarisation en langue seconde ?
- la question de la L2 : quel degré de maîtrise en langue seconde peut-on raisonnablement attendre ? doit-il être proportionnel à la multiplication du nombre d'heures imparti à cette langue ?
- la question des savoirs non linguistiques : l'accès aux contenus disciplinaires ne se verra-t-il pas menacé et retardé par l'écran de la L2 ?
- la question du profil sociopsychologique de l'élève : l'immersion convient-elle à tous les élèves, issus de n'importe quel milieu ? ne va-t-elle pas alourdir le cas des élèves en difficulté?

La recherche a été sollicitée sur toutes ces questions, en donnant des réponses plutôt rassurantes, notamment sur le problème de la L1, comme nous l'avons évoqué plus haut. Ensuite, elle s'est assez vite arrêtée sur la question de la L2 (2ème génération) et, plus récemment, sur celle des savoirs non linguistiques (3ème génération), non pas pour mettre en avant un quelconque déficit par rapport à un enseignement monolingue, mais pour évaluer précisément la nature du gain réalisé par l'enseignement bilingue.

Trois générations d'enseignement bilingue : trois types de réponses

II nous semble pouvoir ordonner les réflexions et les expérimentations en enseignement bilingue autour de trois générations (cf. Gajo, 2000, pour plus de développements).
Celles-ci ne sont pas à envisager forcément de manière chronologique, même si la troisième représente en général un état de réflexion particulièrement abouti.

La 1ère génération considère l'enseignement bilingue à travers l'idéal communicatif le plus pur.
Il s'agit de communiquer pour développer des compétences linguistiques.
Si ce principe traverse légitimement la plupart des modèles immersifs ou bilingues, il se frotte à quelques limites ou nuances. En effet, il faut savoir que la compétence de communication comporte plusieurs dimensions: phonétique (la prononciation), morphosyntaxique et lexicale (ce qu'on appelle habituellement la grammaire et le vocabulaire), discursive (construction d'un texte ou d'un discours; établissement de la cohérence et de la connexion), interactionnelle (gestion des faces, des prises de la parole), stratégique (capacité à pallier les insuffisances des autres dimensions).
Or, la communication en L2 va dans un premier temps s'appuyer beaucoup sur la compétence stratégique et, si les enjeux communicatifs peuvent ainsi être satisfaits, les autres compétences auront moins de chances de poursuivre leur progression.
La recherche canadienne a mis en évidence le problème de la fossilisation morphosyntaxique par exemple, et a conduit une réflexion visant à stimuler les acquisitions linguistiques au-delà des trois ou quatre premières années d'immersion, globalement profitables à la langue. On bascule alors dans la 2ème génération.

La 2ème et la 3ème génération s'occupent toutes deux du problème de l'enseignement intégré de la langue et de la discipline.
Dans la 2ème génération, on met toutefois l'accent sur le profit linguistique, dans le cadre d'une didactique des langues dirigée vers une meilleure maîtrise de la morphosyntaxe ou du vocabulaire. Il s'agit de mettre "plus de langue" dans l'enseignement d'une discipline en L2.

La 3ème génération tente, elle, de rétablir les enjeux disciplinaires, d'envisager les profits de la discipline dans le cadre de la méthodologie bilingue (cf. Serra & Gajo, 2000, pour plus de précisions). L'idée d'intégration langue/discipline change ainsi de perspective et stimule une réflexion qui pourra viser un développement majeur de la compétence discursive. Par exemple, on remarquera que la maîtrise de la différence entre un axiome et une conjecture, en mathématiques, repose sur des savoirs discursifs relevant tout autant de la langue que de la discipline.

L'Ecole moyenne de la Vallée d'Aoste se situe depuis quelques années dans la 3ème génération, dont elle constitue une illustration exemplaire. L'enseignement intégré de la langue et de la discipline demande cependant encore d'intenses réflexions et une mise en place à grande échelle.

Ses enjeux éducatifs et scientifiques méritent un large soutien, qui commence d'ailleurs à s'organiser très sérieusement au niveau européen, qui a mis à la mode le sigle EMILE (Enseignement d'une matière par l'intégration d'une langue étrangère). La voie semble être la bonne...

Laurent Gajo
Premier assistant en linguistique et Chargé de cours et d'enseignement en français langue étrangère aux Universités de Lausanne, Neuchâtel et Genève. Ses travaux portent essentiellement sur l'acquisition des langues secondes, la didactique du bilinguisme et l'interaction en milieu institutionnel. Il fonctionne comme expert régulier auprès de l'Ecole maternelle et de l'Ecole moyenne de la Vallée d'Aoste.

Cecilia Serra
Chargée de cours en Linguistique italienne à l'Université de Neuchâtel et collaboratrice du Centre Universitaire de Recherche Plurilingue de l'Université de Berne.
Depuis environ 20 ans, elle fait de la recherche dans le domaine de la communication orale, monolingue et bilingue, appliquée à des contextes différents. Depuis quelques années, elle s'occupe principalement d'éducation bilingue et par immersion - au niveau de recherche sur le terrain et de formation d'enseignants - en Suisse et au Val d'Aoste.

Bibliographie
BAKER, C. (1988) Key Issues in Bilingualism and Bilingual Education. Clevedon: Multilingual Matters.
HARLEY, B., ALLEN, P., CUMMINS, J. & SWAIN M. (éds.) (1990). The development of second language proficiency. Cambridge: University Press.
GAJO, L. (2000). Enseignement des langues par immersion: quel profit pour la langue ? Babylonia 99/4.
LÜDI, G. (1998), L'enfant bilingue: chance ou surcharge ? ARBA 8.
SERRA, C. & GAJO, L. (2000). Enseignement des langues par immersion: quel profit pour les disciplines ? Babylonia 99/4.

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