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De la feuille à l'écran

 

Entre les murs de François Bégaudeau
Un livre sur l’école qui ne parle pas d’école, déjà, c’est intéressant.

Il parle de la classe et d’un prof, un seul, pendant son cours, et ne décrit les autres profs qu’aux moments de fonction vitale minimum à l’école, à savoir dans la salle des profs ou bien autour d’un duplicateur, au distributeur de café, avec leurs phrases rituelles et totalement dépressives sur la rentrée, la discipline, les semaines à venir et, toujours, à travers des ratages : les photocopies se bloquent dans la machine, les pièces de monnaie ne sont pas les bonnes ou, si elles passent, ne fournissent jamais la boisson désirée, les vacances n’ont pas été assez reposantes, les nuits sont mauvaises, les copies des élèves encore plus. Exactement comme nous, exactement comme à l’école.
En classe, c’est la corrida : la plupart des profs ressortent des classes épuisés ; d’ailleurs, ils ont tendance à traîner le plus longtemps possible avant d’y entrer (vous avez entendu sonner ? Il semble toujours que non).
Mais dans la classe du prof en question, la corrida est très organisée.
La victime n’est pas toujours la même : c’est parfois un camarade, rarement le prof, souvent une race, mais surtout la langue, le bon sens ou la culture tout simplement. Le prof est le torero fatigué, touchant, car il y croit encore. À quoi ? À la transmission des connaissances, sûrement pas ! (La séquence sur sa faible tentative de faire passer une des innombrables règles de l’accord du participe passé est mémorable). Non, il n’y croit plus. Mais il est avec ses élèves, dans le bien et dans le mal. Ce n’est peut-être pas un
« bon prof » : il n’est pas rigoureux, il perd le contrôle de son humeur, il répond aux provocations des élèves, il renonce même aux subtilités de la langue et finit par parler aussi mal qu’eux (« Je t’ai insultée de pétasse parce que… »).
Justement ! Il est là, il leur dit quand il ne les supporte plus ; il ne les aime pas systématiquement, loin de là. Mais il les entend et il leur parle.
Plein de défauts, susceptible, têtu, cynique, dur, il s’engueule avec eux, les punit et s’échauffe les rares fois où ils ont l’air de s’intéresser à quelque chose, mais se décourage tout aussi vite quand c’est trop compliqué à expliquer et balance alors n’importe quelle bêtise pour couper court. Ses élèves le lui reprochent souvent : « Vous charriez trop ». Sans aménités. Alors, qu’a-t-il de bien, ce prof ? Il voit ses élèves, remarque le défilé de slogans sur leurs T-shirts, les couleurs qu’ils portent, les humeurs qu’ils cachent, les mots qu’ils utilisent ; il n’a pas décidé que c’était un moment à part, juste un mauvais moment à passer, il n’a pas fermé la porte de la classe à sa vie.

Barbara Wahl

La classe - Entre les murs de Laurent Cantet

Pourquoi aller voir La classe – Entre les murs, le film que Laurent Cantet, déjà connu pour L’emploi du temps (2001), a réalisé en 2008 ? L’un des intérêts, c’est que le film a pour co-scénariste et acteur principal l’auteur même du livre dont il s’inspire : François Bégaudeau, qui a voulu transposer son roman à l’écran. En face de lui, 25 élèves choisis à la suite d’un casting et d’une année d’atelier d’improvisation. On s’amuse, car il y a tout un comique de situation avec des collégiens d’une banlieue parisienne qui ne donnent pas l’impression d’être là spécialement pour apprendre, mais on rit jaune. Pas de démagogie, aucune généralisation, caméra toujours collée sur les acteurs, dialogues serrés, la classe est vue comme un théâtre changeant, fluctuant. Ce film ne veut pas donner de leçons, mais plutôt montrer l’école telle qu’elle est, entre ratages et normalité. Rappelons que La classe – Entre les murs a décroché la Palme d’or au dernier Festival du cinéma de Cannes, 21 ans après le dernier succès d’un film français à ce même festival.

Vito Specchi

 

 

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