Monte Cervino
PERSPECTIVES D’AVENIR POUR UNE STATION?
par MADDALENA MICHELETTO
Urbaniste

Quelques images de Breuil-Cervinia.À la différence de nombreuses autres grandes stations européennes, Breuil- Cervinia est une station de première génération, née d’une succession d’initiatives privées, parfois concurrentes et parfois complémentaires. Si la présence de la montagne mythique du Cervin a attiré de longue date les alpinistes qui séjournaient à Valtournenche, le dernier village accessible par un chemin carrossable, la création d’une station de sports d’hiver intervient après l’ouverture d’une route reliant Valtournenche aux installations hydroélectriques en cours de construction.
 

Une station née sous les hospices d’initiatives privées multiples

Des entrepreneurs, pour la plupart extérieurs à la Vallée d’Aoste, voient dans la nouvelle route (1934) la possibilité de développer, en site vierge, une nouvelle station qui permettrait la découverte de la montagne autant en été (alpinisme) qu’en hiver (ski alpin). Deux sociétés sont créées, qui entrent en compétition pour l’aménagement du site. La Società Cervino, regroupe, sous la direction d’un ingénieur de Biella, Dino Lora Totino, des actionnaires turinois, milanais ou valdotains (dont un propriétaire local, Luigi Bich) et est à l’origine des premières remontées mécaniques, alors que la Société Grandes Murailles, dont les actionnaires sont eux aussi extérieurs, s’intéresse plutôt aux hébergements.

Entre 1935 et 1939, la Società Cervino réalise les deux tronçons de téléphérique qui permettent de rejoindre Plan-Maison, puis le Plateau Rosa, ainsi qu’un restaurant d’altitude et un hôtel (Gran Baita). La Società Grandes Murailles construit quant à elle un garage et l’Albergo del Sole. Ces initiatives privées se font, comme dans la plupart des stations qui se créent dans les Alpes du Nord à cette époque, sans coordination et visent pour l’essentiel à valoriser le patrimoine foncier que les sociétés privées ont réussi à se constituer par négociation avec les propriétaires locaux. Lors de cette phase initiale (qui se prolonge jusqu’à la fin des années 1940), interviennent des architectes de renom, souvent impliqués dans le Mouvement Moderne : Franco Albini projette un hôtel-refuge, l’Ostello Pirovano (1948), Marco Cereghini, l’Albergo Cervinia (1936) et Carlo Mollino un hôtel, la Casa del Sole (1947).
 

Les difficultés de la planification urbanistique

En 1935, deux architectes, Diego Brioschi et Mario Cereghini, élaborent une étude pour un Plan régulateur qui propose une meilleure structuration du réseau viaire, une réorganisation du domaine skiable et la protection de points de vue sur le Cervin. Les liaisons directes de ces deux architectes avec les deux sociétés qui sont à l’origine de la station expliquent que leur tentative de réguler l’activité immobilière dans la Conque de Breuil ne soit guère suivie d’effets. Les critiques à l’égard de cette première esquisse de plan d’urbanisme se multiplient, au premier rang desquelles celles des rédacteurs du Piano Regolatore della Valle d’Aosta (1937).

Ce Plan régulateur, appelé aussi Plan Olivetti, du nom de son financeur, préconise un zonage de l’espace et une plus grande protection des paysages. Les architectes Ludovico B. di Belgiojoso e Piero Bottoni proposent de préserver la rive droite du torrent (où sont néanmoins prévus quelques équipements sportifs) et répartissent les constructions en trois types de zones : le noyau urbain qui accueille hébergements et services et constitue le centre-station, la zone commerciale au débouché de la route d’accès et un secteur de villas disséminées dans la forêt de mélèzes. Ce second plan, dont il faut souligner qu’il ne répondait pas à une demande de l’administration provinciale, ou de la commune, n’a guère plus d’effets que le précédent sur la maîtrise d’une croissance de l’urbanisation qui va s’accélérant avec le développement rapide de l’économie italienne au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Tout au long des années 1960-1970, le développement de l’urbanisation est géré sur la base du seul règlement de construction. Les plans d’urbanisme qui se succèdent durant toute cette période restent à l’état d’ébauche non approuvée. Il faut en effet attendre 1983 pour qu’un Plan régulateur complet soit adopté par la commune (avec approbation définitive par la Région en 1989).

Entretemps, Cervinia s’affirme comme une des toutes premières stations italiennes de ski, elle accueille de nombreuses personnalités des mondes de l’art et de la science, mais ses nouveaux développements ne permettent pas de corriger l’image de fragmentation qui la caractérise dès l’origine. La réalisation entre 1971 et 1976, à un kilomètre du centre de la station, du Villaggio Ski total Cielo Alto (architecte Francesco Dolza), un complexe qui comprend hébergements et services de proximité, introduit un nouvel élément de diversité architecturale qui renforce l’absence d’unité de la station. L’achèvement en 1982 des liaisons entre les domaines skiables contribue à faire de Valtournenche et de Cervinia un même ensemble touristique, s’échelonnant entre 1200 et 4000 mètres d’altitude et offrant plus de quatre mille sept cents lits, auxquels il faut ajouter près de quinze mille résidences secondaires.

Rétablir les équilibres
Pour affronter la concurrence, les stations de première génération doivent envisager une requalification qui porte à la fois sur le parc d’hébergements, sur le domaine skiable et sur les espaces publics, plus particulièrement ceux qui sont dévolus à la promenade et à la détente. A la différence des stations plus récentes, qui ont proposé un produit particulier (la pratique du ski alpin pour une clientèle jeune et sportive dans les stations intégrées de Savoie par exemple), elles doivent corriger les dysfonctionnements qui sont dus à un mode d’organisation qui dès l’origine a vu prévaloir les projets particuliers sur le projet d’ensemble. Certaines stations de première génération, au cours des vingt dernières années, cherchent ainsi à recréer une image villageoise à même d’attirer une clientèle qui privilégie la qualité de l’accueil par rapport aux performances sportives.

Les déséquilibres qui caractérisent Cervinia et Valtournenche ne sont pas propres à cette station, mais sont communs aux stations nées à la même époque d’une succession d’initiatives privées.

Le premier déséquilibre a trait à la structure du parc d’hébergements qui est dominé par les résidences secondaires et qui comprend donc aujourd’hui de très nombreux lits froids (ou sous-utilisés). En 2010, l’on compte en effet 5089 lits touristiques1, avec une prédominance des lits hôteliers et parahôteliers2. Les 14900 résidences secondaires (8100 à Cervinia et 6800 à Valtournenche) représentent environ 59600 lits soit plus de 92% du parc d’hébergements3. Une diversification de ce parc s’avère en effet nécessaire si l’on veut garantir une progression des passages dans les remontées mécaniques (en stagnation depuis la saison 2006-2007), comme de la clientèle des commerces et des services. Si l’on rapproche le nombre d’entrées journalières dans le domaine skiable - en 2009-2010, il y a eu 604098 entrées se répartissant entre Cervinia (476141) et Valtournenche (127957) – et le nombre total de lits touristiques (64329), force est de constater que chaque lit a généré en moyenne une semaine de pratique du ski alpin, ce qui laisse dubitatif sur la durée d’utilisation des lits froids que constituent les résidences secondaires.

Le second déséquilibre a trait à l’organisation du domaine skiable (remontées mécaniques et pistes), plus particulièrement aux entrées sur ce domaine. Si ce dernier constitue, grâce notamment à la jonction avec Zermatt, un des domaines les plus prestigieux des Alpes du Nord, son accessibilité n’est pas nécessairement aisée pour tous les skieurs. A ce propos, l’on peut noter que le départ des remontées mécaniques à Valtournenche se fait, après la traversée du village, sur un parking éloigné des hébergements et est donc difficilement joignable à pieds. A Cervinia, le départ depuis le centre de la station est éloigné des parkings et n’est guère aisé pour la clientèle à la journée, et celui de Cielo Alto n’est accessible que par une route sinueuse et dépourvue de stationnements. Les accès ont été pensés pour la clientèle se déplaçant en voiture, la mise en place d’un service de navettes ayant amélioré les choses.

Le troisième déséquilibre a trait aux espaces publics qui sont destinés aujourd’hui pour l’essentiel à la circulation automobile. Seul le centre de Cervinia a fait l’objet d’une piétonisation. Le centre de Valtournenche est quant à lui parcouru par la route d’accès aux deux domaines skiables et les liaisons entre les différentes localités touristiques de Cervinia sont difficilement praticables à pieds. L’entrée dans la station est marquée par la présence d’aménagement pour la circulation (routes, rondspoints, stationnements) et la végétation est extrêmement rare à cet endroit. L’image qui se dégage est celle d’un espace minéral et fonctionnel, qui ne répond guère aux attentes des clientèles nouvelles sensibles à la nature et au respect de l’authenticité des lieux.

Face à une concurrence sans cesse plus vive, il devient de plus en plus difficile pour les stations de compter sur le seul ski alpin, notamment parce que la saison hivernale se raccourcit à cause du réchauffement climatique. Pour attirer une clientèle à la recherche de nouvelles aspirations, les vallées alpines doivent diversifier leur offre, jouer sur des produits complémentaires et proposer un cadre de vie de qualité notamment pour une part grandissante de touristes qui s’adonne à la promenade. Pour répondre à un tel défi, une démarche globale de planification, qui implique l’ensemble des acteurs publics et privés, est sans doute nécessaire.




Notes:

1 3358 à Cervinia, 1731 à Valtournenche ;
2 2706 à Cervinia, 637 à Valtournenche ;
3 données fournies par l’Assessorat du Tourisme, des Sports, du Commerce et des Transports pour les lits touristiques et les remontées mécaniques ; par la Commune de Valtournenche en ce qui concerne les résidences secondaires
   
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